Pas de statut particulier pour la Savoie ?

L’amendement d’Hervé Gaymard proposant la création d’une collectivité à statut particulier « Savoie Mont-Blanc », destinée à se substituer aux deux départements savoyards actuels, était examinée hier soir à l’Assemblée nationale. Après le débat, dont on trouvera le compte-rendu ci-dessous, cette proposition d’une collectivité à statut particulier pour la Savoie a été rejetée, selon le vœu du gouvernement Valls, par la majorité des députés présents (bien peu nombreux à cette heure tardive…). Le même amendement, avait été présenté par Michel Bouvard au Sénat quelques temps plus tôt, où il avait également été rejeté (voir : http://www.regionsavoie.org/fusion-des-departements/398-ironie-au-senat-q-vive-la-savoie-libre-q.html)

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(lien vers la vidéo du débat : http://videos.assemblee-nationale.fr/video.6484.3eme-seance–nouvelle-organisation-territoriale-de-la-republique-suite-de-l-article-9-adt-2083–20-fevrier-2015)

 

 

« Après l’article 13 bis

M. le président. La parole est à M. Hervé Gaymard, pour soutenir l’amendement no 496.

M. Hervé Gaymard. Comme l’a indiqué Martial Saddier, nous voulons, par cet amendement, défendre un projet d’avenir, la création de la collectivité territoriale Savoie Mont-Blanc qu’a d’ailleurs mentionnée à un certain nombre de reprises ces derniers mois M. le Premier ministre, que ce soit au congrès des élus de la montagne à Chambéry ou à celui de l’Association des départements de France à Pau.

Sur le fondement de l’article 72 de la Constitution, nous vous proposons de créer, après le Grand Lyon il y a deux ans ou la Corse que nous venons d’évoquer, une collectivité territoriale Savoie Mont-Blanc, au sein même de la région Rhône-Alpes-Auvergne.

Cette collectivité ne remet pas en cause la région Rhône-Alpes-Auvergne telle qu’elle a été instituée mais créerait en son sein une collectivité à statut particulier dotée de quatre grandes compétences : aménagement du territoire, développement économique, développement social en s’appuyant sur toutes les compétences actuellement détenues par les départements, et coopération transfrontalière avec la Suisse et l’Italie.

À terme, la création de cette collectivité impliquerait un redécoupage cantonal pour unifier les deux départements.

Cette proposition s’inscrit dans le cadre des appels à projets que le Gouvernement a adressés aux élus territoriaux et aux élus de la nation. Cet amendement est cosigné par douze de mes collègues des deux départements et les sénateurs des deux départements y sont également favorables.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Olivier Dussoptrapporteur. Avis défavorable.

M. Benoist Apparu. C’est dommage.

M. Olivier Dussoptrapporteur. Nous avons tous en mémoire le débat qui a occupé nos collègues corses – lesquels semblent d’ailleurs être retournés en Corse pour le fêter. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Xavier Bertrand. La Bretagne hier, la Corse aujourd’hui !

M. Olivier Dussoptrapporteur. Mais ils ont bien fait ! Je les cherchais du regard, tout simplement, ne vous énervez pas.

La commission a donc rendu un avis défavorable mais je faisais un parallèle avec le débat parce qu’en Corse, la collectivité unique créée par les dispositions adoptées regroupe tous les départements d’une même région. Dans le cadre de la collectivité Savoie Mont-Blanc, il s’agirait de deux départements au sein d’une même région.

M. Benoist Apparu. Ce n’est pas une raison suffisante.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Marylise Lebranchuministre. Il est fort possible que les deux départements fusionnent avec leurs compétences. C’est un projet ancien que vous avez raison de soutenir.

En revanche, vous reprenez une suggestion de votre précédente proposition de loi, la fusion des deux départements avec leurs propres compétences, mais vous prenez à la région la compétence relative à l’aménagement du territoire et au développement économique. On n’a donc plus la même région, ce qui n’est pas envisageable.

Vous pouvez fusionner ces deux départements, demander à la région une délégation de compétences par convention et au sein de la conférence territoriale de l’action publique – nous avons examiné tout à l’heure le champ des compétences pouvant être déléguées –, mais il n’est pas acceptable d’inscrire dans la loi l’obligation pour la région de déléguer des compétences à ces deux départements.

M. le président. La parole est à Mme Bernadette Laclais.

Mme Bernadette Laclais. En tant que Savoyarde, je tiens à m’exprimer sur ce sujet. N’ayant pas abusé de mon temps de parole, j’espère pouvoir aller jusqu’au bout de mon propos. Cet amendement mérite que l’on s’y arrête quelques instants, même si je ne suis a priori pas très favorable à la proposition de création d’une collectivité au titre de l’article 72 de la Constitution, dans la mesure où, Mme la ministre l’a dit à l’instant, une fusion de départements permettait de répondre aux attentes des élus qui ont cosigné cet amendement.

Mais je suis aussi persuadée que nous ne sommes pas obligés de passer par la loi ou par une fusion pour avancer. L’Entente régionale de Savoie, devenue l’Assemblée des Pays de Savoie, a permis de mettre en commun des politiques de coopération. Vous le savez, je soutiendrai toujours ce qui permettra de rendre nos Savoie plus fortes ensemble. On ne saurait donc s’opposer par principe à cet amendement, sur lequel un débat sérieux doit s’ouvrir. Mais encore faut-il ne pas oublier l’essentiel, qui dépasse de très loin le cadre institutionnel. Ce n’est pas l’institution qui donnera l’indispensable confiance partagée, mais c’est l’habitude de travailler en commun, comme nous le faisons dans certains domaines, et la pratique. De même, le fondement d’une union réussie est avant tout un projet de vie commun, respectueux des personnalités des deux partenaires.

Oui, il faut rechercher la mutualisation des moyens, la rationalisation des actions et jouer la proximité. Mais surtout, nous devons être capables de défendre ensemble des projets, de travailler sur le contenu autant que sur le contenant en défendant une vision commune. Or force est de constater que celle-ci fait parfois encore défaut. Nous partageons, bien au-delà de notre histoire et de notre identité héritée d’un passé commun et singulier, des productions agricoles de qualité, un tourisme divers que vous appréciez tous et qui fait de notre territoire la première destination mondiale, une économie ingénieuse qui tire profit de son environnement. Mais nous pouvons encore faire mieux pour le développement équilibré de notre université de Savoie, la définition d’un positionnement commun en faveur du Lyon-Turin ferroviaire, la reconnaissance et le développement de la spécificité de notre organisation judiciaire, et la protection de nos ceintures vertes.

Voilà les raisons pour lesquelles cet amendement me laisse sur ma faim. Dès lors que les projets seront forts et que tous les Savoyards se les approprieront, la structure administrative et politique évoluera naturellement. Je reste donc réservée quant à la création d’une collectivité à statut spécial Savoie Mont-Blanc, mais je suis ouverte au débat, qui ne me semble au demeurant pas revêtir un caractère d’urgence.

M. le président. La parole est à M. Benoist Apparu.

M. Benoist Apparu. Madame la ministre, votre argumentaire me pose un petit problème. Vous avez dit à l’instant qu’il n’était pas possible de créer, pour les départements de Savoie, une sorte d’enclave disposant de compétences spécifiques au sein de la région. Le Gouvernement a pourtant procédé ainsi en créant le Grand Lyon ! En l’espèce, vous avez créé au sein d’un département une enclave pour une collectivité, qui a récupéré les compétences de ce dernier.

Mme Marylise Lebranchuministre. Non !

M. Benoist Apparu. À vous entendre, il serait possible de procéder ainsi dans le cas d’une métropole et d’un département, mais en aucune façon dans le cas d’un département et d’une région ; l’argument me paraît un peu faible ! Certes, il ne s’agit pas des mêmes collectivités, mais s’il est possible de créer une enclave au sein d’une collectivité, cela doit être valable aussi bien pour la métropole du Grand Lyon dans le département du Rhône que pour les deux départements de Savoie dans la région Rhône-Alpes.

M. le président. Tous les orateurs pourront s’exprimer, mais au vu du nombre d’amendement restant à examiner, je vous demande de bien vouloir éviter les redites et de respecter le temps de parole prévu par notre règlement.

La parole est à Mme la ministre.

Mme Marylise Lebranchuministre. La métropole de Lyon n’est pas de droit commun ; elle obéit à un statut particulier, tout comme Paris et Marseille-Aix-Provence. On pourrait créer, comme vous le voulez, des départements à statut particulier, quoique cela ne soit pas encore à l’ordre du jour, monsieur le député.

M. Benoist Apparu. Pourquoi pas ?

Mme Marylise Lebranchuministre. Cela dit, je réponds à votre question ; il ne faut jamais oublier que si la métropole de Lyon a absorbé les compétences du département, c’est que nous avons créé un deuxième département. Pour que la situation que vous décrivez prévale, il a fallu, tout le monde l’oublie, créer un deuxième département, présidé par Michel Mercier, que vous connaissez, doté d’ailleurs d’une assiette fiscale restreinte, qui a transmis, par convention, un certain nombre de biens à la métropole. Appliquer ce modèle au territoire que vous mentionnez impliquerait de créer deux régions, dont l’une engloberait les deux Savoie, parallélisme des formes et du fond oblige.

Je persiste à dire à dire que la fusion de deux départements est possible. Il est également possible que la région veuille déléguer, via la conférence territoriale de l’action publique, des compétences à ce département fusionné, nanti d’ailleurs de moyens importants au regard de celles exercées par la région. Mais cela ne pourra se faire par la loi, au détriment de la région.

M. le président. La parole est à M. Hervé Gaymard.

M. Hervé Gaymard. Je tiens à apporter des précisions utiles à ce qui vient d’être dit. Premièrement, mon amendement ne prévoit pas de modifier la législation, en matière économique, puisque j’ai veillé à reprendre les textes applicables dans ce domaine. Il s’agit simplement d’autoriser la région à déléguer des compétences aux agences de développement économique existantes – je ne reviendrai pas sur le débat tardif d’avant-hier –, ce que d’ailleurs elle fait déjà : par exemple, la région Rhône-Alpes a donné délégation il y a près de deux mois à l’agence économique de la Savoie pour mener des actions sur le territoire de Haute-Savoie. Il n’est pas question de priver la région de compétences économiques, puisque des délégations de compétences en la matière sont déjà possibles.

Deuxièmement, le concept de solidarité territoriale que vous avez élaboré depuis que j’ai déposé cet amendement, madame la ministre, a permis de cocher la case « aménagement du territoire ». Ma proposition de loi ne prévoyait qu’un minimum de dérogation aux lois en vigueur, notamment aux dispositions portant sur les relations avec les régions. Nous avions d’ailleurs anticipé le présent projet de loi car nous ne réclamions pas de conserver la compétence des départements en matière de transport, preuve que nous convenons que certaines compétences sont mieux exercées à l’échelle régionale.

Pourquoi voulons nous créer cette collectivité territoriale à statut particulier ? D’abord, il faut garder des centres de décision économique dans les Pays de Savoie, et ce n’est pas faire insulte à la région Rhône-Alpes-Auvergne que de le dire, car nous contribuerons ainsi à sa prospérité. Ensuite, je fais remarquer à Mme Laclais, tout en saluant la pertinence et la modération de son propos, que nous sommes allés au bout de la logique de coopération. Il faut maintenant un saut institutionnel, car l’Assemblée des Pays de Savoie, qui réunit les deux conseils généraux depuis quinze ans, décide déjà de toutes les politiques relevant des compétences non obligatoires – l’agriculture, l’économie, la forêt, l’enseignement supérieur, le tourisme, les transferts de technologie. Nous avons d’ailleurs préparé ce saut institutionnel en coopérant depuis vingt ans et en créant des solidarités concrètes. Certes, on ne commence pas par les institutions, mais celle que je vous propose serait simplement le prolongement de tout ce que nous avons fait depuis vingt ans. C’est dans le cadre du présent projet de loi que cette proposition doit être discutée.

M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Gagnaire.

M. Jean-Louis Gagnaire. Je voudrais réagir à la prise de parole de M. Apparu ; il n’y a pas d’enclave lyonnaise dans la région Rhône-Alpes.

M. Hervé Gaymard. Ce n’est pas ce que dit M. Queyranne !

M. Jean-Louis Gagnaire. La seule enclave de la région Rhône-Alpes est l’enclave des Papes, qui fait partie du département du Vaucluse, et non du département de la Drôme. La métropole lyonnaise a fait l’objet d’un accord entre le département et l’agglomération lyonnaise afin de fusionner leurs compétences, ce qui n’est pas la même chose que ce que vous décrivez, monsieur Apparu.

Je voudrais par ailleurs appeler votre attention sur une chose, mes chers collègues ; cet amendement tend à insérer les mots : « Attribution et mise en œuvre des subventions liées à la gestion des fonds européens dont la collectivité territoriale de Savoie Mont-Blanc est l’autorité de gestion ou le bénéficiaire d’une délégation de gestion ». Nous sommes passés d’une délégation de gestion de l’État à une délégation de gestion des régions. Vous voulez donc subdiviser les compétences, ce qui ne correspond en rien aux standards européens.

M. Hervé Gaymard. Mais on le fait déjà !

M. Jean-Louis Gagnaire. Il s’agit donc bien de retirer des compétences aux régions, ce qui est impossible.

Par ailleurs, vous évoquez la convention qui lie la région au département de la Savoie à propos de l’Agence de développement économique. Cela est tout à fait normal ; nous nous situons ici dans le cadre de la loi de 2004 et le département de la Savoie a demandé à la région de signer une convention l’autorisant à intervenir auprès des entreprises pour un certain nombre de cas.

Je suis très favorable aux regroupements d’entités départementales – le Rhône résiduel, le « petit Rhône », comme on l’appelle, et le département de la Loire, par exemple – à compétences constantes. Évidemment, cela doit se faire à périmètre de compétences constant, et non pas en soutirant, de manière abusive, des compétences aux régions, même s’il s’agit de la grande région Rhône-Alpes-Auvergne. »

(L’amendement no 496 n’est pas adopté.)

Ce compte-rendu appelle quelques remarques :

  • Tout d’abord les contradictions du gouvernement Valls, bien pointées du doigt par le député UMP Benoist Apparu, apparaissent comme flagrantes. Alors que ce gouvernement accepte la mise en place d’une collectivité territoriale à statut particulier en Corse et à Lyon (métropole du Grand Lyon), Paris et Aix-Marseille-Provence, il s’obstine à le refuser à la Savoie, tout comme à l’Alsace. Il y a ici une mauvaise foi évidente dont nous avons déjà évoqué les causes probables (voir précédent article :http://www.regionsavoie.org/fusion-des-departements/401-la-corse-et-la-savoie-deux-poids-deux-mesures.html).

  • Enfin, Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation, répond à cette contradiction en arguant du fait que la Corse est déjà une région et que Lyon, Paris et Aix-Marseille sont des métropoles ce qui leur autoriserait l’accès au rang de collectivité à statut particulier. Selon elle, le problème avec l’amendement Savoie Mont-Blanc viendrait du fait qu’il créerait un département à statut particulier, puisque Hervé Gaymard a bien réaffirmé qu’il ne s’agissait pas de séparer les départements savoyards de la grande région Rhône-Alpes-Auvergne. Mais si une région et une métropole peuvent accèder au rang de collectivité à statut particulier, pourquoi pas un département ? Sans doute parce que le gouvernement Valls garde bel et bien comme projet de faire disparaître le département in fine après l’avoir vidé de ses compétences… Mais les propos de la ministre laissent entrevoir une autre possibilité de parvenir à mettre en place ce statut particulier en Savoie : elle évoque en effet à plusieurs reprises la possibilité (prévue par loi) de fusionner deux départements dans un premier temps, puis dans un second temps de demander par convention à la région une délégation de compétences. Un schéma qui pourrait s’appliquer à la Savoie dans le cadre de la région Rhône-Alpes-Auvergne. Les deux départements savoyards pourrait fusionner en un département de Savoie Mont-Blanc par décision de l’Assemblée des Pays de Savoie (qui réunit les deux conseils généraux), puis demander ensuite par convention certaines compétences à la région Rhône-Alpes-Auvergne… Une question subsiste, qui conditionne toutes les autres : les propos de la ministre sont-ils réellement une perche tendue en direction d’Hervé Gaymard, des élus, et des Savoyards favorables à une collectivité à statut particulier pour la Savoie ? Ou ne s’agit-il que d’un leurre destiné à égarer les partisans de cette solution pour mieux vider le département de ses compétences en attendant sa disparition ? Venant d’un gouvernement dont les pratiques anti-démocratiques et l’idéologie jacobine ne sont plus à démontrer, on craint de trop bien connaître la réponse.

 

par Rodolphe GUILHOT

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