Retour à Cruseilles : Quel avenir pour la Savoie ?

 

Le 15 novembre dernier se tenait à Cruseilles une conférence-débat sur le thème de la réforme territoriale de 2014, conférence initiée par « la SALEVIENNE », société d’histoire régionale de la Haute-Savoie. Elle a réuni à la tribune MM. MONTEIL et GAYMARD Présidents des Conseils Généraux de la Haute-Savoie et de la Savoie. Les propos et débats ont été d’excellente tenue devant une assemblée de près de 300 personnes. On trouvera ci-dessous un condensé des diverses interventions et des notes prises lors de cette réunion extrêmement intéressante.

 


 

 

Mr.MONTEIL :

« La source de la réforme territoriale version 2014 se trouve dans la réforme Sarkozy de 2010, qui prévoyait une évolution vers des communautés de communes et d’agglomérations respectant les bassins de vie. Le but était de faire des économies d’échelle. Elle devait se faire avec l’accord des élus locaux et prévoyait la création de conseillers territoriaux qui auraient été élus à la fois au Conseil Général (département) et au conseil régional. La carte des cantons devait être redessinée : 25 au lieu de 34 en Haute-Savoie, et ce chiffre est passé à ce jour à 17. La réforme était claire et progressive, et elle a été annulée en 2012 (nouvelle majorité).

Le projet 2014 se déploie en deux lois : une sur le nombre des régions, la deuxième sur les nouvelles compétences. Il eut été judicieux de prévoir d’abord les compétences avant de redécouper les régions. On doit noter le transfert des compétences relatives à l’aménagement du territoire, (routes, collèges etc) du département à la région. »

Mr GAYMARD :

Fin mars 2014, le nouveau Premier Ministre, M. VALLS, fait son premier discours, avec une annonce sur cette réforme. Le 18 juin 2014, deux projets de lois ont été adoptés en conseil des ministres : on supprime les départements, leurs compétences non sociales (infrastructures..) sont transférées aux régions d’ici 2017 et pour leurs compétences sociales, cela n’est pas encore précisé. Depuis le sujet a été débattu à l’Assemblée nationale et au Sénat, avec des questions restant à éclaircir (à la date du 15/11/2014) : dans le Nord Martine AUBRY ne veut pas de la fusion avec la Picardie, la Loire-Atlantique rejoindra-t-elle la Bretagne ou non, et question de l’Alsace (restera-t-elle « seule »). En revanche, la nouvelle région Rhône-Alpes-Auvergne est à présent incontournable.

La 2° loi concerne les compétences des départements. Actuellement, le Premier Ministre indique que « des départements ruraux seront conservés avec des compétences simplifiées ». Face à cela, MM. MONTEIL et GAYMARD formulent une contre-proposition : « Nous nous positionnons par rapport à l’avenir de la Savoie (73+74), pour des raisons géographiques, historiques et économiques. Nous voulons garder des centres de décisions en Savoie. » Et donc une proposition d’amendement à la loi a été déposée par M GAYMARD, Député. MM. GAYMARD et MONTEIL soulignent que :

* La région Rhône-Alpes- Auvergne existera, c’est un fait.

* Au sein de cette région ils proposent une collectivité à statut particulier nommée « Savoie Mont Blanc », disposition possible grâce à la révision de la Constitution de 2005 (article 72). Cet article a été utilisé pour la fusion de la Communauté urbaine du Grand Lyon avec la moitié du département du Rhône.

* Compétences de cette collectivité « Savoie – Mont Blanc » :

– Aménagement du territoire (routes etc)

– Economie (dont université)

– Social (personnes handicapées, agées..)

– Coopération transfrontalière

Le projet « GAYMARD » a été rejeté par l’Assemblée nationale mais les élus PRG (Parti Radical de Gauche) et Verts y ont été favorables. Tous les députés savoyards y sont favorables sauf une député socialiste et une autre qui s’est abstenue. Mr. GAYMARD déposera un amendement à la deuxième loi en janvier 2015, mais la 2° lecture de cette loi ne se fera qu’en mars à cause des élections départementales intervenant entre temps. A noter que le regroupement de deux départements n’était possible que depuis 2010 (loi de réforme territoriale). Cela a été supprimé par le gouvernement en juillet 2014. La seule solution est donc la voie législative. MM. MONTEIL et GAYMARD vont rencontrer très prochainement le Premier Ministre.

MM. MONTEIL et GAYMARD ont ensuite souligné que :

* Cette réforme territoriale est prévue pour faire des économies. Or, « tout le monde reconnait que ce ne sera pas le cas ».

* Elections : le scrutin sera un scrutin de liste au lieu de l’actuel uninominal, donc les élus seront surtout des élus urbains, sur des listes des partis, ça politisera les décisions. Les territoires éloignés seront perdants. Ce sera la fin des élus de proximité, les nouveaux élus étant désignés sur les listes par les appareils politiques.

* Sur le plan économique, un sujet peu connu : les deux départements 73 et 74 ont pris de multiples décisions économiques au fil du temps, et les dividendes de ce patrimoine de nos départements sont réinvestis dans l’économie locale. Par exemple la société des remontées mécaniques de Courchevel, les Ménuires… qui est une société d’économie mixte dont le département de la Savoie détient 50% des parts. Il en existe d’autres, dans le domaine de l’industrie, du bois, le chemin de fer du MONTENVERS etc… Avec la disparition des départements où vont aller ces sociétés, leurs dividendes et centres de décisions ?

* La majorité des 70 Conseillers Généraux (73 + 74) est favorable à cette notion de nouvelle collectivité (réunion récente de ces élus à RUMILLY).

* Il faut que la population se mobilise…

Autres interventions :

Mr. MEGEVAND, Président de la SALEVIENNE, a souligné que la taille de cette nouvelle région est immense et que les questions et problème agricoles sont très différents selon les départements.

Mr. C. BARBIER, Président de l’Association des Sociétés Savantes de SAVOIE (73 et 74) a rappelé qu’outre les promesses faites par la France à la Savoie en 1860, on doit noter que la « charte européenne de l’autonomie des collectivités locales », de 1987 ratifiée par la France en 2007 stipule dans son article 5 que « les collectivités locales devront être consultées et donner leur accord aux modifications de limites territoriales ». Cela n’a pas été fait pour cette réforme. Mr. GAYMARD confirme qu’il n’y a pas eu de procédure de consultation des Conseils Généraux et Régionaux…

M. N.COMMUNOD (Conseiller Régional) :

– Rhône-Alpes-Auvergne sera plus grande que 13 pays européens… !

– Rhône-Alpes-Auvergne aura un fonctionnement plus centralisé que Rhône-Alpes actuellement.

– N. COMMUNOD a aussi lancé un appel pour que toutes les associations et tous les mouvements qui sont attachés à la SAVOIE déploient ensemble leurs efforts pour soutenir ce projet au delà de toutes considérations « accessoires ».

Remarque dans la salle :

On parle de « régions de niveau européen » : mais le budget des régions françaises et leur poids est ridicule en comparaison des autres régions européennes: le budget de Rhône-Alpes (plus grande que la Suisse, 5,5 millions d’habitants), est égal à celui de la Vallée d’Aoste (Italie) qui compte 120 000 habitants…

Mr. J-L. FAVRE (Bâtonnier du Barreau de THONON)

« Avant 1860, il y avait dans les Etats de PIEMONT-SARDAIGNE trois Sénats : à Chambéry, Nice et Turin. La Cour d’Appel de Chambéry est la continuité du sénat de Chambéry. Elle risque d’être supprimée dans la suite de cette réforme territoriale. Or, une justice de proximité est indispensable, sachant que les affaires sont traitées avec un délai d’un an à la Cour d’Appel de Chambéry et un délai de 4 ans à celle de Lyon… »

Discussion en fin de réunion entre des personnes de la salle Mr. François LONGCHAMP, Président du Grand Conseil d’Etat de GENEVE :

Mr LONGCHAMP, venu en voisin, était resté dans la salle et ne s’était pas exprimé, mais avait été cordialement salué. Il nous a souligné le point suivant, essentiel pour son gouvernement :

« A titre de rappel, dans les années 1970-80, une négociation a eu lieu entre l’Etat de GENEVE et l’Etat français. Comme les travailleurs frontaliers (habitants en Haute-Savoie et Ain) travaillant à Genève paient leur impôt sur le revenu à la source à l’Etat de GENEVE, pour aider les communes hébergeant les frontaliers, GENEVE a été d’accord de reverser 3,5% du montant des salaires des frontaliers (aide pour équipements de ces communes). Cette somme, pour les 70 000 frontaliers actuels s’élève à 240 millions d’€/an. Ce montant a triplé en 10 ans. GENEVE n’a été d’accord que dans la mesure où ces montants seraient reversés aux collectivités locales concernées. GENEVE a obtenu que ces montants seraient versés par ses soins à PARIS qui les reverserait aux conseils généraux de l’AIN et de la HAUTE-SAVOIE, et non versés dans un compte fourre tout d’où ils ne seraient pas ressortis. Ces dispositions sont toujours en vigueur.

Mr LONGCHAMP nous a donc dit en conclusion que « les élus de GENEVE voudront que ces montants restent versés localement. Ils n’admettront pas qu’ils soient versés dans un pot commun de Rhône-Alpes-Auvergne qui financera « on ne sait quoi et surtout on ne sait où…».

La réunion s’est achevée sur l’hymne savoyard « le chant des Allobroges » entonné par l’ensemble de la salle.

par François COUTIN

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