Ces immoparcs que sont devenues nos vallées

adaptation au Mont-Blanc du photo montage réalisé à l'occasion de l'initiative Franz Weber

Par Laurent BLONDAZ

Article publié dans l’hebdomadaire le Faucigny du 25 avril 2013
En image : adaptation au Mont-Blanc du photo montage réalisé à l’occasion de l’initiative Franz Weber

Comment s’organise en Savoie et en France le bétonnage des lieux touristiques les plus prisés ? Le laisser-faire est-il une fatalité ?

Quel rôle peut jouer le gouvernement, en particulier lorsque le ministre concerné étatit un certain… Jérôme Cahuzac ?

 

Dans les vallées touristiques de Savoie, ainsi que dans les territoires de villégiature les plus attractifs de l’hexagone, la bulle immobilière ne cesse de gonfler. Les prix ont dérapé depuis bien longtemps. On spécule, on construit, on s’accapare les derniers terrains constructibles non soumis aux risques naturels. Paradoxalement, malgré cette activité frénétique, la demande semble intarissable. Les agents immobiliers s’appliquent à cacher les faiblesses passagères du marché tout en maintenant les offres au plus haut. Pourtant, dans ces immoparcs que sont devenues nos vallées, on peut s’interroger à savoir si les investisseurs, pour la plupart, des nantis qui ne connaissent pas la crise, font réellement des bonnes affaires financières.



 

Le plus tragique dans tout cela, c’est que l’on bétonne sans se soucier le moins du monde des populations locales. L’immobilier est devenu inaccessible à la grande majorité des habitants permanents. Dans les secteurs les plus prestigieux de notre région, une famille à revenu moyen doit faire des kilomètres et descendre dans les fonds de vallées pour accéder à un logement décent, à un loyer abordable, quand elle ne décide pas de s’expatrier à force de découragement. On ne se soucie pas plus des paysages, que de l’architecture locale, ou des terres agricoles, ne parlons même pas de culture savoyarde ! Il y a du fric à faire pour certains, à placer pour d’autres, de l’activité à dégager pour le lobby du BTP, des droits de mutation à percevoir ainsi que des statistiques de croissance à afficher pour l’État. Tout le reste semble bien dérisoire !

 

Toute autorité ayant en charge l’aménagement du territoire pour notre région devrait pourtant s’attacher à trouver en toute urgence des solutions aux deux grandes questions suivantes :

– Comment juguler le bétonnage, la dégradation des paysages, la perte d’identité culturelle, la disparition des surfaces agricoles, face à l’appétit toujours grandissant des promoteurs et à la soif de profits des investisseurs ?

– Les populations locales ont-elles toujours leur place pour se loger ? Mais aussi pour prendre des initiatives économiques ? Ou encore, pour faire valoir une activité démocratique locale face à des potentats dont la puissance est à la hauteur des bénéfices à réaliser ?

 

Exemples alpins

 

Réguler le marché immobilier, c’est bien ce qu’ont fait la Suisse et l’Autriche : les mesures prises sont drastiques. Il n’y a pas multitude de pistes possibles : ces deux pays ont décidé de contingenter le nombre de résidences secondaires. Autrement dit, il s’agit de garder de la place pour l’habitat permanent et pour l’activité économique locale : l’hôtellerie et le tourisme d’accueil.

 

Franz Weber - photo letemps.chLe peuple Suisse a approuvé en mars 2012 l’initiative Weber « pour en finir avec les constructions envahissantes de résidences secondaires ». Celle-ci limite à 20 % du parc des logements et de la surface brute au sol habitable le nombre accepté de résidences secondaires pour chaque commune1.

 

En Autriche, les régions ont pris le taureau par les cornes bien plus tôt, dès les années quatre-vingt dix pour mettre en place des législations limitant les résidences secondaires. Les limites sont encore bien plus fermes : 8% dans le Tyrol, 10% dans la région de Salzbourg2. Ces décisions ont permis de conserver les paysages, mais aussi de permettre aux populations locales de rester au pays, et plus encore de préserver l’économie touristique : l’activité hôtelière y est florissante, alors qu’elle s’est fortement réduite en Savoie durant les vingt dernières années.

 

En France : laisse béton !

 

initiative-franz-weberEn Savoie, les taux de résidences secondaires des communes touristiques atteignent des sommets. Certains anciens villages en sont à 85%3. En quinze ans, l’immobilier a connu une inflation exceptionnelle : à trois chiffres, souvent dénoncée, mais sans qu’aucune mesure significative n’ait été engagée4.

La France n’est malheureusement pas un pays de montagne. Vu de Paris, la question de l’immobilier se traduit strictement à l’inverse par « Comment bétonner plus ? » « Comment permettre à de grands groupes nationaux de promotion touristique de faire plus de chiffre ? » « Comment maximiser les prix de l’immobilier et par là même aussi les entrées fiscales liées aux mutations immobilières ? » Peu importe si les jeunes savoyards, (et les moins jeunes aussi) n’arrivent pas à se loger, ou bien passent l’essentiel de leur pouvoir d’achat dans des loyers exorbitants pour des appartements exigus. La plupart des communes concernées voient désormais leur population décroître et leurs classes d’école se fermer progressivement.

 

Pour doper même le marché de l’immobilier là où il faudrait le réguler, l’État français a développé une batterie de niches fiscales, avec la bénédiction de certains de nos hommes politiques locaux : le dispositif « Censi-Bouvard » bien connu des fiscalistes, mais aussi les « LMNP », « Demessine »… Celles-ci s’appliquent très bien aux résidences de tourismes, un dispositif scandaleux qui permet à l’investisseur de payer moins d’impôts, voire pas du tout, durant les neuf ans pendant lesquels il sera engagé avec une société de location saisonnière. Il aura ensuite en pleine propriété sa résidence secondaire.

 

L’effet Cahuzac

 

Avec la gauche au pouvoir, nous pouvions espérer que ces niches fiscales soient abolies.

Le mardi 30 octobre 2012, Jérôme CAHUZAC, alors ministre du budget, a accueilli à Bercy Gérard BREMOND, Président du groupe Pierre & Vacances5, groupe que l’on ne présente plus tant il est bien implanté en Savoie.

Par le plus grand des enchantements, la principale de ces niches fiscales, la « Censi-Bouvard », dont tout le monde s’attendait à ce qu’elle soit supprimée… fut reconduite dans les jours qui suivirent6.

 

Vous connaissez l’effet papillon : un battement d’aile au Brésil peut déclencher une tornade au Texas. Mais connaissez-vous l’effet Cahuzac ? Un murmure dans un bureau feutré de Bercy peut déclencher ou prolonger le bétonnage de vallées savoyardes.

Certes, dans l’intimité des hauts sommets de la république française, les copinages et abus de pouvoirs ne sont pas nouveaux. Accorder la paternité de cette pratique à ce ministre récemment démissionné est un outrage pour tous les prédécesseurs qui en ont usé ! Néanmoins, dans son rôle inopiné de repenti (ce qui agace beaucoup la classe politique), on peut lui reconnaître une certaine inventivité pour avoir provoqué un « choc de moralisation ».

 

Mais revenons-en à notre béton. Le gouvernement va-t-il décider, dans toute la grandeur de sa vertu retrouvée, de raser la niche fiscale dont nous avons parlé ? Ceci est peu probable.

 

Pour se préserver des tornades des lobbies et autres tempêtes de conflits d’intérêts, c’est à nous de construire du dur : exigeons la démocratie directe, le respect de la souveraineté populaire, le principe de subsidiarité. Le savoir-faire existe chez nos voisins alpins… il serait enfin temps de l’importer pour rebâtir en France des structures institutionnelles qui impliqueraient pleinement les citoyens. Faisons-nous entendre, n’attendons pas que les solutions à nos problèmes descendent des bureaux feutrés des instances nationales !

 

Ce que disait Rousseau il y a presque trois cent ans est toujours d’actualité : « Quand on voit chez le plus heureux peuple du monde des troupes de paysans régler les affaires de l’Etat sous un chêne et se conduire toujours sagement, peut-on s’empêcher de mépriser les raffinements des autres nations, qui se rendent illustres et misérables avec tant d’art et de mystères ? »7

Laurent BLONDAZ


 


 

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1 : Initiative Weber :

2Dossier de la CIPRA : « Les résidences secondaires altèrent le visage des localités et peuvent dégrader leur image »

http://www.cipra.org/fr/alpmedia/dossiers/14

 

3Voir le rapport parlementaire de Martial Saddier (2005) « Foncier – logement : Les territoires touristiques et frontaliers sous haute pression. », p34. Disponible sur http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/064000056/0000.pdf

 

4Dans le même rapport parlementaire, très peu des mesures proposées ont été mises en œuvre.

 

6 Article du magazine Capital : « Temps de chien pour Pierre & Vacances »

http://www.capital.fr/enquetes/derapages/temps-de-chien-pour-pierre-vacances-815735/%28offset%29/2

Dans le texte : « Cet automne, Gérard Brémond a eu des sueurs froides quand le gouvernement a songé à tailler dans les avantages fiscaux. Curieuse coïncidence, après un rendez-vous avec le ministre du Budget ­Jérôme Cahuzac, ce dernier y a renoncé… jusqu’en 2016. »

7Jean-Jacques Rousseau, Du contrat social IV-1, citant le peuple Suisse (à son époque, le peuple des treize cantons).

A lire aussi :

Le gouvernement est-il rentré à la niche (fiscale) après un entretien entre le PDG de Pierre&Vacances et le ministre du budget ?

http://isere.eelv.fr/2012/12/17/le-gouvernement-est-il-rentre-a-la-niche-fiscale-apres-un-entretien-entre-le-pdg-de-pierrevacances-et-le-ministre-du-budget/

 

 

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Comment s’organise en Savoie et en France le bétonnage des lieux touristiques les plus prisés ? Le laisser-faire est-il une fatalité ?
Quel rôle peut jouer le gouvernement, en particulier lorsque le ministre concerné est un certain… Jérôme Cahuzac ?

Dans les vallées touristiques de Savoie, ainsi que dans les territoires de villégiature les plus attractifs de l’hexagone, la bulle immobilière ne cesse de gonfler. Les prix ont dérapé depuis bien longtemps. On spécule, on construit, on s’accapare les derniers terrains constructibles non soumis aux risques naturels. Paradoxalement, malgré cette activité frénétique, la demande semble intarissable. Les agents immobiliers s’appliquent à cacher les faiblesses passagères du marché tout en maintenant les offres au plus haut. Pourtant, dans ces immo-parcs que sont devenues nos vallées, on peut s’interroger à savoir si les investisseurs, pour la plupart, des nantis qui ne connaissent pas la crise, font réellement des bonnes affaires financières.

Le plus tragique dans tout cela, c’est que l’on bétonne sans se soucier le moins du monde des populations locales.  L’immobilier est devenu inaccessible à la grande majorité des habitants permanents. Dans les secteurs les plus prestigieux de notre région, une famille à revenu moyen doit faire des kilomètres et descendre dans les fonds de vallées pour accéder à un logement décent, à un loyer abordable, quand elle ne décide pas de s’expatrier à force de découragement. On ne se soucie pas plus des paysages, que de l’architecture locale, ou des terres agricoles, ne parlons même pas de culture savoyarde ! Il y a du fric à faire pour certains, à placer pour d’autres, de l’activité à dégager pour le lobby du BTP, des droits de mutation à percevoir ainsi que des statistiques de croissance à afficher pour l’État. Tout le reste semble bien dérisoire !

Toute autorité ayant en charge l’aménagement du territoire pour notre région devrait pourtant s’attacher à trouver en toute urgence des solutions aux deux grandes questions suivantes :
Comment juguler le bétonnage, la dégradation des paysages, la perte d’identité culturelle, la disparition des surfaces agricoles, face à l’appétit toujours grandissant des promoteurs et à la soif de profits des investisseurs ?
Les populations locales ont-elles toujours leur place pour se loger ? Mais aussi pour prendre des initiatives économiques ? Ou encore, pour faire valoir une activité démocratique locale face à des potentats dont la puissance est à la hauteur des bénéfices à réaliser ?

Exemples alpins

Réguler le marché immobilier, c’est bien ce qu’ont fait la Suisse et l’Autriche : les mesures prises sont drastiques. Il n’y a pas multitude de pistes possibles : ces deux pays ont décidé de contingenter le nombre de résidences secondaires. Autrement dit, il s’agit de garder de la place pour l’habitat permanent et pour l’activité économique locale : l’hôtellerie et le tourisme d’accueil.

Le peuple Suisse a approuvé en mars 2012 l’initiative Weber « pour en finir avec les constructions envahissantes de résidences secondaires ». Celle-ci limite à  20 % du parc des logements et de la surface brute au sol habitable le nombre accepté de résidences secondaires pour chaque commune1.

En Autriche, les régions ont pris le taureau par les cornes bien plus tôt, dès les années quatre-vingt dix pour mettre en place des législations limitant les résidences secondaires. Les limites sont encore bien plus fermes : 8% dans le Tyrol, 10% dans la région de Salzbourg2. Ces décisions ont permis de conserver les paysages, mais aussi de permettre aux populations locales de rester au pays, et plus encore de préserver l’économie touristique : l’activité hôtelière y est florissante, alors qu’elle s’est fortement réduite en Savoie durant les vingt dernières années.

En France : laisse béton !

En  Savoie, les taux de résidences secondaires des communes touristiques atteignent des sommets. Certains anciens villages en sont à 85%3. En quinze ans, l’immobilier a connu une inflation exceptionnelle : à trois chiffres, souvent dénoncée, mais sans qu’aucune mesure significative n’ait été engagée4.
La France n’est malheureusement pas un pays de montagne. Vu de Paris, la question de l’immobilier se traduit strictement à l’inverse par « Comment bétonner plus ? » « Comment permettre à de grands groupes nationaux de promotion touristique de faire plus de chiffre ? » « Comment maximiser les prix de l’immobilier et par là même aussi les entrées fiscales liées aux mutations immobilières ? » Peu importe si les jeunes savoyards, (et les moins jeunes aussi) n’arrivent pas à se loger, ou bien passent l’essentiel de leur pouvoir d’achat dans des loyers exorbitants pour des appartements exigus. La plupart des communes concernées voient désormais leur population décroître et leurs classes d’école se fermer progressivement.

Pour doper même le marché de l’immobilier là où il faudrait le réguler, l’État français a développé une batterie de niches fiscales, avec la bénédiction de certains de nos hommes politiques locaux : le dispositif « Censi-Bouvard » bien connu des fiscalistes, mais aussi les « LMNP », « Demessine »… Celles-ci s’appliquent très bien aux résidences de tourismes, un dispositif scandaleux qui permet à l’investisseur de payer moins d’impôts, voire pas du tout, durant les neuf ans pendant lesquels il sera engagé avec une société de location saisonnière. Il aura ensuite en pleine propriété sa résidence secondaire.

L’effet Cahuzac

Avec la gauche au pouvoir, nous pouvions espérer que ces niches fiscales soient abolies.
Le mardi 30 octobre 2012,  Jérôme CAHUZAC, alors ministre du budget, a accueilli à Bercy Gérard BREMOND, Président du groupe Pierre & Vacances5, groupe que l’on ne présente plus tant il est bien implanté en Savoie.
Par le plus grand des enchantements, la principale de ces niches fiscales, la « Censi-Bouvard », dont tout le monde s’attendait à ce qu’elle soit supprimée… fut reconduite dans les jours qui suivirent6.

Vous connaissez l’effet papillon : un battement d’aile au Brésil peut déclencher une tornade au Texas. Mais connaissez-vous l’effet Cahuzac ? Un murmure dans un bureau feutré de Bercy peut déclencher ou prolonger le bétonnage de vallées savoyardes.
Certes, dans l’intimité des hauts sommets de la république française, les copinages et abus de pouvoirs ne sont pas nouveaux. Accorder la paternité de cette pratique à ce ministre récemment démissionné est un outrage pour tous les prédécesseurs qui en ont usé ! Néanmoins, dans son rôle inopiné de repenti (ce qui agace beaucoup la classe politique), on peut lui reconnaître une certaine inventivité pour avoir provoqué un « choc de moralisation ».

Mais revenons-en à notre béton. Le gouvernement va-t-il décider, dans toute la grandeur de sa vertu retrouvée, de raser la niche fiscale dont nous avons parlé ? Ceci est peu probable.

Pour se préserver des tornades des lobbies et autres tempêtes de conflits d’intérêts, c’est à nous de construire du dur : exigeons la démocratie directe, le respect de la souveraineté populaire, le principe de subsidiarité. Le savoir-faire existe chez nos voisins alpins… il serait enfin temps de l’importer pour rebâtir en France des structures institutionnelles qui impliqueraient pleinement les citoyens. Faisons-nous entendre, n’attendons pas que les solutions à nos problèmes descendent des bureaux feutrés des instances nationales !

Ce que disait Rousseau il y a presque trois cent ans est toujours d’actualité : « Quand on voit chez le plus heureux peuple du monde des troupes de paysans régler les affaires de l’Etat sous un chêne et se conduire toujours sagement, peut-on s’empêcher de mépriser les raffinements des autres nations, qui se rendent illustres et misérables avec tant d’art et de mystères ? »7

Laurent BLONDAZ
 Secrétaire du Mouvement région Savoie
info@regionsavoie.org
 

A lire aussi :
Le gouvernement est-il rentré à la niche (fiscale) après un entretien entre le PDG de Pierre&Vacances et le ministre du budget ?
http://isere.eelv.fr/2012/12/17/le-gouvernement-est-il-rentre-a-la-niche-fiscale-apres-un-entretien-entre-le-pdg-de-pierrevacances-et-le-ministre-du-budget/

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