Sur la ligne Lyon-Turin : sale temps pour la liberté d’expression

Début janvier 2015, beaucoup de Français se sont levés lorsqu’en massacrant des dessinateurs et des journalistes, quelques extrémistes religieux ont voulu exterminer un des symboles de la liberté d’expression : Charlie Hebdo.

Lundi 26 janvier, en Italie, le tribunal de Turin  a condamné 47 opposants au projet du Lyon-Turin à 140 ans de prison au total, suite à des affrontements avec la police en 2011.

Le 28 janvier, c’est un des plus grands  écrivain italien, Erri de Luca,  qui était à son tour devant le tribunal de Turin. Ce qui lui est reproché ? Avoir déclaré dans une interview au Huffintgton Post italien, en parlant de la ligne grande vitesse Lyon-Turin (TAV) : « la TAV doit être sabotée ». Il entendait dénoncer ainsi ce projet de ligne à grande vitesse imposé aux populations du Val de Suse. S’ensuit une plainte de la société franco-italienne Lyon Turin Ferroviaire (LTF), société basée à Chambéry et chargée de la construction de cette ligne et du percement du tunnel. Erri de Luca se défend en arguant que le sens du mot saboter n’implique pas forcément une détérioration physique… La prochaine audience aura lieu le 16 mars. Il risque 5 ans de prison.

Bâillonner des écrivains, cela rappelle d’autres époques. En l’occurrence, on veut museler sa liberté de s’indigner.  Du « crime contre l’esprit » au « sabotage » : quelle hiérarchie dans la liberté d’expression ?

 

 

Justice à deux vitesses :

Dans le même temps, la société Lyon Turin Ferroviaire transgresse les règles de droit en toute impunité. En voici trois exemples :

– LTF débute le chantier pour creuser un premier tube de 9 km à St Martin de la Porte, alors que l’accord franco-italien prévoit qu’il faut attendre la saturation de la ligne existante et que des procédures sont encore pendantes.

– LTF a fait travailler sur le chantier italien des entreprises liées à la mafia.

– LTF a maintenu en fonctions son directeur côté italien, pourtant condamné deux fois pour appel d’offres frauduleux.

Pour tout cela, elle bénéficie de la protection des forces de l’ordre ; plus exactement, elle les paie avec des subventions publiques.

Les opposants français sont également  inquiétés  parce qu’ils ont mis à jour toutes les turpitudes du projet.

Il est inquiétant de constater que la justice italienne puisse condamner à de lourdes peines de prison des opposants politiques qui tentent de préserver leur cadre de vie des pollutions causées par le creusement du tunnel et par le trafic ferroviaire qui suivra, et inquiéter un écrivain s’insurgeant contre ce projet. Les lobbies industriels et financiers pèsent de tout leur poids sur la justice, et si celle-ci peut voir les corruptions et les concussions en s’en accommodant, elle peut juger (voire condamner) des mots prononcés comme s’ils étaient des crimes. 

Au delà de cette affaire du Lyon-Turin, en Italie comme en France, il est à craindre que le renforcement des lois anti-terroristes visant à minimiser les risques d’attentats ne soient bientôt opposables aux manifestants écologistes intervenant contre des projets de grande envergure dans les zones à défendre (ZAD) tels le Val de Suse, Notre-Dame des Landes, Sivens ou encore Roybon, entre autres… Les Français, après s’être indignés du massacre perpétré à Charlie Hebdo, on bien vite oublié le sort de Rémi Fraisse, militant écologiste tué par une grenade policière lors des affrontements autour de la construction du barrage de Sivens.

Liberté d’expression ?

En matière de liberté d’expression il existe bien deux poids deux mesures concernant le Lyon-Turin :

– une liberté d’expression organisée et financée pour des promoteurs qui veulent imposer un tunnel inutile.

– l’intimidation et la prison pour les opposants à ce projet.

Ce dossier du Lyon Turin n’est pas vraiment Charlie !

par Noël COMMUNOD, Rodolphe GUILHOT et Pierre OTTIN-PECCHIO

Il est possible de signer la pétition de soutien à Erri de Luca ici :

http://www.petitions24.net/soutien_a_erri_de_luca

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