L’autonomie : la voie à suivre pour la Savoie – résumé des tables rondes

Suite à son assemblée générale ordinaire, le Mouvement Région Savoie a organisé ce dimanche 11 novembre 2021, une journée de rencontre articulée autour de deux tables rondes. Nous présentons ici un résumé de chaque intervention.

Questions abordées :

Le centralisme à la française n’est-il pas la raison première des insuffisances des politiques publiques dans l’Hexagone ? En quoi est-il un frein à la solidarité entre les territoires ? Quel bilan des « méga-régions » créées en 2017 ? La démocratie ne nécessite-t-elle pas une autonomie de pensée et d’action dans chaque territoire ? Ne doit-elle pas se construire de selon un schéma ascendant ? Quelles formes d’organisations (collectivité spécifique, régions autonomes, cantons helvétiques) peuvent être prises comme modèle ? Quelles revendications pour la Savoie ?

 

Table1• En lancement, Laurent Blondaz a rappelé ce qu’était le Mouvement Région Savoie : le mouvement régionaliste et autonomiste historique en Savoie. Né en 1972, il fêtera l’an prochain ses 50 ans. Nous commémorerons cet anniversaire à l’occasion de l’université d’été de la fédération Régions et Peuples Solidaires (R&PS), qui est programmée en Savoie en 2022. R&PS rassemble des partis autonomistes issus de plusieurs territoires de l’Hexagone : Corse, Bretagne, Alsace, Occitanie, Pays Basque, Catalogne, Moselle. Le congrès mondial Amazigh est aussi membre de cette fédération. Le MRS adhère aussi à une seconde fédération, l’European Free Alliance/ Alliance Libre Européenne (EFA / ALE).
Le thème abordé durant cette journée, l’autonomie, porte, contrairement à certaines idées répandues, une dimension humaniste. L’autonomie, c’est avant tout l’autonomie de conscience que se devraient de développer prioritairement les médias et l’éducation publique. Les autonomies alimentaires, énergétiques, industrielles… doivent aujourd’hui être reconquises par les communautés, à commencer par les échelons les plus élémentaires : les familles, les villages, les quartiers… C’est une question de sécurité, de liberté et de dignité humaine. L’autonomie politique est un élément indispensable pour construire la démocratie : à commencer par le niveau communal, mais aussi aux niveaux supérieurs, selon le principe de subsidiarité : laisser les décisions se prendre au niveau le plus proche de la population tant que cela est possible.

 

Jean-Philippe Atzenhoffer, Économiste, Professeur à l’université de Strasbourg, auteur du livre « le Grand Est, une aberration économique », s’intéresse tout particulièrement à l’efficacité des modèles économiques décentralisés.

01Il présente un bilan « noir » de l’établissement autoritaire et déshumanisé des « méga-régions », en prenant des exemples sur la technostructure « grand-est » dans laquelle est absorbée aujourd’hui l’Alsace, mais aussi sur « l’Auvergne-Rhône-Alpes ».
La réforme des régions instaurée en 2015, s’est faite de manière totalement arbitraire, ce que François Hollande avoue dans son livre publié à l’issue de son mandat présidentiel : « J’étale la carte de France, j’écoute les avis puis je décide seul de tracer une nouvelle carte… »
Alors que la motivation annoncée de cette réforme était officiellement de faire des économies, les bilans démontrent aujourd’hui de nombreux surcoûts, et ceux-ci étaient en fait largement prévisibles.
Ces collectivités « locales » de la taille de pays européens ont-elles encore quelque chose de local ? Pour ne prendre qu’un exemple illustrant l’inefficacité de ce dispositif : la volonté des nouveaux monarques territoriaux de créer des identités régionales ex nihilo, associées à des territoires composites sans histoire, ni culture, a provoqué le doublement des budgets de communication, à coup de millions d’euros. Des programmes de communication dispendieux ont abouti en Savoie à ce que des panneaux soient disposés à l’entrée de chaque commune. Un chantage à la subvention oblige les maires à laisser apparaitre cette signalétique.

 

02Gilles Maistre, Maire d’Entremont de 1989 à 2014, a présenté avec une très belle verve ses convictions démocratiques et communales. Durant sa mandature, de très intéressants dispositifs collectifs ont été mis en place dans cette commune, « pour une citoyenneté vivante et responsable », notamment des dispositifs de contrôle destinés à impliquer la population en dehors du conseil municipal tels que des référendums d’initiative citoyenne, ou par d’autres moyens permettant libre court aux contre-pouvoirs citoyens. « La démocratie directe est le plus beau des circuits courts ! »
Gilles Maistre a décrit avec une grande émotion, la disparition arbitraire de la commune d’Entremont, fusionnée avec celle de Petit-Bornand par arrêté préfectoral en 2018, suite aux manœuvres opaques de personnalités politiques locales, contre la majorité absolue du corps électoral. Celle-ci s’est établie avec le refus de consulter la population et de reconnaitre sa volonté de se tourner vers la communauté de communes des vallées de Thônes, plutôt que celle de Bonneville.
Face aux despotes locaux, le régionalisme doit aller jusqu’au bout, c’est-à-dire que la démocratie doit aller jusqu’au citoyen. En France, la proximité peut être perverse. Même les institutions communales sont organisées de manière totalement pyramidale.
Gilles est l’auteur d’un ouvrage édité à compte d’auteur et destiné principalement aux habitants d’Entremont : « villages au cœur – Pour une démocratie éco-citoyenne vivante. Quelques pas vers l’autogestion communale ».

 

03Philippe de Rougemont, Conseiller municipal de la ville de Genève, explique plusieurs dispositifs forts de la démocratie semi-directe helvétique- Ceux-ci s’adressent à chacun des trois niveaux institutionnels : commune, canton, fédération. En Suisse, quatre fois par an, la population est appelée à s’exprimer sur plusieurs questions posées : d’une part à travers des référendums, portant contre des décisions qu’un parlement a voulues ; et d’autre part, sur des votations issues d’initiatives citoyennes : propositions émanant de la population.
En Suisse, il y a vingt-six cantons et vingt-six constitutions. Dans les cantons alémaniques, les communes ont beaucoup plus d’autonomie. En Suisse romande, en surtout à Genève, on est plus proche de la France, le système est un peu issu de Napoléon. Les communes ont moins le moins à dire.
Délégation ou participation ? On ne doit pas se contenter d’élire une personne tous les cinq ans et de déléguer son pouvoir citoyen de manière attentiste. Être citoyen, c’est participer.
Être un régionaliste ou un communaliste pragmatique, c’est avant tout identifier, mobiliser et utiliser les marges de manœuvre dans les libertés que nous avons en nous. A moins d’être dans une dictature absolue, où la privation de liberté est totale, il est toujours possible de trouver des marges de manœuvre. Celles-ci requièrent notre inventivité, notre créativité et la confiance que nous avons en nous. Et lorsque nous nous retrouvons face à des blocages, nous sommes alors pleinement légitimés pour demander davantage de compétences. Bien que le modèle helvétique de démocratie semi-directe offre effectivement des dispositifs intéressants, il ne faut pas dire que la Suisse est démocratique et que la France ne l’est pas : « Nous sommes tous sur un chemin vers plus d’autonomie. »
Philippe de Rougemont déjoue les décisions centralistes et autoritaires. Les pouvoirs centralisés ont facilité pour dire aux communes des « il faut » : « Il faut des autoroutes, des centrales nucléaires… » C’est facile pour eux de dire des « il faut » parce qu’ils ne vont pas vivre les conséquences. A vous qui vivez, qui ressentez votre environnement, si vous vous opposez ils diront que vous êtes d’égoïstes « Nimby » (Not In My Back Yard – Pas près de chez moi). Vous pouvez dire l’inverse : les décisions venant de ce pouvoir central sont cyniques. Notre contre-pouvoir, c’est de dire : « ces décisions nous font mal, elles créent de la peur, elles enlèvent notre vivre ensemble. »

 

slogan1• Juste avant la pause, Claude Barbier, adhérent de longue date du Mouvement Régions Savoie, rend hommage à deux personnages historiques de notre association.

Benoit Bro, qui a passé son enfance à Menthonnex-en-Bornes où désormais il repose pour l’éternité, fut un président du Mouvement Région Savoie de 1988 à 2003, année durant laquelle il succomba d’une crise cardiaque, en pleine période électorale, à l’âge de 35 ans. L’investissement de Benoit fut intense sur le dossier de la région Savoie. Il avait été notamment le coauteur de « Région Savoie Pourquoi ? Comment ? » paru en 1998.

Jean-Marc Jacquier est décédé le 25 mars 2021 à l’âge de 72 ans. Après un début de carrière dans le domaine de l’informatique, Jean-Marc Jaquier développe dès les années 1970 sa passion pour la musique traditionnelle de Savoie et des Alpes. Il s’emploie à collecter des centaines de morceaux de musique à travers les vallées. Suite à la rencontre d’un autre musicien, Diego Abriel, ils fondent le groupe de musique traditionnelle, la Kinkerne en 1974. Au travers de collectages, de concerts, il va permettre à ce patrimoine culturel des Alpes d’être préservé et diffusé. Ses amis tant en Savoie, en Suisse romande, qu’en Vallée d’Aoste et au Piémont étaient nombreux. Jean-Marc fut un fidèle militant autonomiste et indépendantiste.

 

04Chantal Certan, ancienne conseillère régionale et assesseur à l’éducation de la région autonome de la vallée d’Aoste, nous livre sa perception de l’autonomie dans sa région autonome. Son intervention débute par un rappel historique. Les pères de l’autonomie valdotaine avaient l’idée d’une fédération à l’image des cantons suisses. Au lendemain de la période fasciste, en 1948, l’autonomie valdotaine fut reconnue par la constitution italienne. Dans un premier temps, les institutions se sont attachées à construire cette autonomie. Celle-ci s’appuie sur l’identité et la culture. Dans les années 1980/90, la vallée d’Aoste reçoit les 9/10èmes des impôts que les valdotains paient. Ceci permet de réaliser les compétences prévues par la loi d’autonomie. Certaines compétences ne sont pas allées jusqu’au bout de ce que l’autonomie aurait pu permettre. Notamment l’éducation, elle devrait être considérée comme un pilier central pour un fonctionnement politique autonome. Malheureusement, la région autonome de la vallée d’Aoste a la charge de financer l’éducation, mais doit recruter des enseignants non formés pour transmettre les spécificités linguistiques et culturelles locales. Le rôle de la communication est aussi très important : l’autonomie s’appuie sur des échanges de proximité forts. Ceux-ci ont aujourd’hui perdu de l’importance, au profit de médias nationaux et ceci est très fortement révélé durant la crise du covid.
Disposer de ressources financières propres est essentiel pour mettre en œuvre l’autonomie. Malheureusement les dérives sont possibles. Des pratiques clientélistes, voire corruptives, se sont installées dans les dernières décennies. Elles éloignent les Valdotains des valeurs initiales de l’autonomie : la démocratie, la participation, la responsabilité.
L’autonomie valdotaine est aujourd’hui dans une situation délicate. Elle a tous les éléments pour que les Valdotains puissent construire un avenir soutenable. Malheureusement, les tentatives nationales pour réduire les statuts d’autonomie sont régulières. En 2017, le premier ministre Renzi a tenté de changer la constitution italienne en défaveur des statuts spécifiques. Heureusement, nous avons réussi à bloquer son projet. D’autres attaques contre les statuts d’autonomie continueront. Nous avons besoin de soutiens de part et d’autre des Alpes.

 

 

 

05David Grosclaude, Journaliste, Béarnais et membre du parti occitan, vice-président de l’Alliance Libre Européenne, engagé pour la culture et la langue occitane.
En tant que représentant de l’ALE, David Grosclaude présente les trois thèmes développés par cette fédération européenne : l’autonomie, le droit à l’autodétermination et le respect de la diversité culturelle et linguistique. Son propre regard sur l’autonomie se dirige dans un premier temps sur l’Occitanie. Dans le territoire linguistique de langue occitane, seule une petite vallée de 7000 habitants dans les Pyrénées dispose d’un statut d’indépendance, le val d’Aran, sur territoire de Catalogne.
L’autonomie est le reflet d’une volonté du terrain et elle est efficace. Malheureusement, en France, le mot autonomiste est défiguré par les médias et parfois associé à une image de terrorisme. Malheureusement beaucoup de maires et d’élus locaux se font le relai du centralisme, ils appliquent les directives des préfets et les critiquent en toute irresponsabilité lorsqu’ils les savent mauvaises.
David Grosclaude nous livre aussi son regard de journaliste. En plus du centralisme politique, nous n’avons aucune autonomie médiatique. Contrairement à d’autres pays européens, il n’y a pas de chaines audiovisuelles régionales, seulement des succursales de chaines nationales. La presse « sérieuse » est aussi basée à Paris. La presse provinciale est vue en général avec condescendance. Dans ce cadre, comment des idées autonomistes peuvent-elles s’imposer ?
Le thème de l’écologie est aussi abordé. La tentation de vouloir imposer des solutions écologiques de manière centralisée et technocratique est un non-sens, cela est inefficace et revient à de l’écofascisme. Le soleil ne brille pas et le vent ne souffle pas de la même manière dans chaque région. Nous devons considérer nos différences comme des richesses. La diversité culturelle et la diversité biologique doivent être vues de la même manière. On ne sauvera pas la planète par des dispositifs centralisés. Les solutions locales ne peuvent émerger que par les langues, les cultures et les identités locales.

 

06Fabiana Giovannini, Conseillère territoriale de Corse (2010-2020), Conseillère exécutive (2015-2017), Rédactrice en chef d’Arritti, hebdomadaire autonomiste Corse.
Fabiana Giovannini apporte son point de vue sur la situation politique en Corse : « D’autonomie en Corse, il n’y en a pas aujourd’hui ! ». Elle préfère parler de l’aspiration à l’autonomie du peuple corse.
Son exposé débute par un aperçu historique. La Corse disposa d’une période d’indépendance au XVIIIème siècle durant quatorze ans, de 1755 à 1769, par l’édification de la République corse, dont le principal instigateur fut Pasquale Paoli. L’île fut un exemple souvent cité durant cette époque des lumières, comme un exemple d’autonomie et de démocratie. Malheureusement, la France racheta l’île à la république de Gênes, en prit possession dans un bain de sang, puis établit durant vingt ans une répression. La Révolution de 1789 fut un espoir pour le peuple corse, espoir rapidement déçu. Pascal Paoli fut déclaré traitre à la nation française pour avoir dénoncé les décapitations qu’il jugeait inhumaines. La répression redémarra. Il a fallu attendre les années 1970 pour que le nationalisme contemporain renaisse, dans une période que l’on appelle le riacquistu : c’est-à-dire la réappropriation linguistique, culturelle, économique, historique… Malgré cela, il a fallu encore cinquante années de combat pour réaccéder aux responsabilités. Les difficultés ne venaient pas que de l’Etat français, mais aussi des clans, des familles politiques de droite comme de gauche qui s’appuyaient sur la fraude électorale et sur des formes de prévarication et de corruption, et cela a aussi donné naissance à de la violence. Lorsque la violence a pris fin, nous avons accédé aux responsabilités. Les nationalistes aspirent aujourd’hui à une autonomie de plein exercice et de plein droit.
Aujourd’hui, malgré une légitimité démocratique plusieurs fois renouvelée, le conseil territorial de la Corse est régulièrement bloqué par le gouvernement français, et est contredit par les services préfectoraux.
L’autonomie permettrait de mettre en place une politique linguistique afin de sauvegarder la langue corse, de lutter efficacement contre la spéculation immobilière, de mettre en place des solutions pragmatiques contre le réchauffement climatique, de développer une politique de santé adaptée. Aux prémices de la crise du covid, le président de l’exécutif corse a pris l’initiative de fournir des masques à toute la population de l’île. L’Etat français a jugé cette initiative illégale, car cela ne relevait pas de sa prérogative !
L’autonomie, c’est la normalité en Europe, particulièrement pour les îles : la Sicile, la Sardaigne, les Baléares, les Açores, Madère, les Canaries ont des statuts d’autonomies avec des compétences très élargies, des compétences législatives dans tous les domaines qui les concernent, y compris dans les représentations internationales. Au nord de l’Europe, le Groënland et les îles Féroé sont des exemples d’autonomie, disposant de compétences élargies.
Tout comme la Corse, la Savoie a tous les ingrédients pour revendiquer une autonomie de plein droit : son histoire, sa géographie et ses besoins qui en hurlent, ses frontières… C’est par les richesses internes, par le travail politique et culturel, et avec le soutien mutuel des peuples en quête d’autonomie que la Savoie réussira.

 

07Carlo Perrin, ancien président de la région autonome de la vallée d’Aoste, engagé aussi bien pour la culture que pour l’agriculture valdôtaine. Son allocution démarre par une citation d’Horace Bénédicte de Saussure, ascensionniste du Mont-Blanc en 1787 : « Je vois deux vallées où l’on parle la même langue, les peuples sont les mêmes. Un jour viendra où l’on creusera sous le Mont-Blanc une voie charretière et ces deux vallées, la vallée de Chamonix et la vallée d’Aoste seront unies. » Au jourd’hui la propagande moderne laisse à penser que ceux qui passent le tunnel du Mont-Blanc, passent de la France à l’Italie. Nos identités, nos richesses culturelles, ne sont pas considérées.
Le sens de l’autonomie, c’est avant tout de revendiquer une identité que nous possédons par des siècles d’histoire, et que nous n’avons pas inventée. La vallée d’Aoste détient une identité semblable à celle de la Savoie, s’appuyant à la fois sur l’emploi de la langue française, et aussi de la langue du peuple, le francoprovençal.

La pandémie a révélé les faiblesses de l’organisation mondiale : non seulement, le réchauffement climatique mais pas que ; un modèle économique qui n’est lié qu’au profit et au commerce, en train de créer des inégalités insupportables dans ce monde. On ne trouvera de solutions qu’avec la participation des peuples.
Mais qui sont les peuples ? Ce sont, les Corses, les Valdôtains, les Savoyards… Les grands Etats-nations rassemblent en eux toute une série de peuples qui réclament de pouvoir prendre leurs responsabilités.

La Savoie possède toutes les raisons pour réclamer une véritable autonomie : des raisons historiques bien sûr, mais aussi d’actualité et de futur. C’est bien d’être enraciné, surtout dans notre monde global, mais nous devons chacun nous projeter et donner le sens de la perspective à l’autonomie.

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