Savoie Mont-Blanc, le modèle alsacien

Par Jean-Luc Favre, ancien bâtonnier du barreau de Thonon, du Genevois et du Léman.
Article publié dans le journal le Faucigny du 7 mars 2019.

Vu de la lunette de l’extraterrestre voltairien Micromégas, tout rapproche la Savoie de l’Alsace. Sur leur longueur nord – sud, les deux régions sont bordées par les fleuves cosmopolites et mythologiques du Rhin et du Rhône…

Les Alpes et les Vosges forment l’autre longueur de leur forme rectangulaire. Le XIXème siècle avait transformé en frontière « naturelle » ces fleuves et montagnes qui avaient été davantage des traits d’union et de passage nourrissant un chapelet de villes moyennes avec deux dominantes, Strasbourg et Colmar d’une part, Chambéry et Annecy d’autre part.

La forte histoire de ces deux régions a forgé leur identité métissée de Suisse et d’Allemagne d’une part, de Suisse et d’Italie d’autre part. Toutes deux appartenaient à la Lotharingie puis au Saint-Empire Romain Germanique. Fortement mêlées à leur histoire respective, Bâle et Genève sont des pôles majeurs d’attractivité culturelle et économique par l’emploi de milliers de frontaliers et leur aéroport international.

L’Alsace et la Savoie ont été séparées en deux départements le « Haut » et le « Bas » souvent nourris de petites querelles de voisinage. Néanmoins, ces divisions administratives n’ont jamais rompu la forte identité collective, née en Savoie, de la construction d’un Etat multiséculaire transalpin.
Ces deux régions ont de fortes similitudes par leurs racines démocrates-chrétiennes et demeurent des bastions europhiles. L’Alsace abrite 1 800 000 habitants sur une surface de 8280 km2. Le PIB moyen par habitant est de 25000 euros. Son économie est fortement exportatrice. La Savoie comprend 1 240 000 habitants sur une surface de 10400 km2. Son PIB moyen par habitant est de 31000 euros. Son économie est aussi exportatrice. Les deux régions présentent un véritable écosystème avec une université dynamique et une organisation judiciaire centrée sur les Cours d’appel respectives de Chambéry et de Colmar. Le tourisme et l’agriculture représentent des secteurs déterminants dans leur économie.

Pour reprendre la forte expression de Monsieur Hervé Gaymard, les deux régions risquent de « disparaître des radars » du fait de leur inclusion dans les méga régions administratives imaginées par le Président François Hollande. Le « Grand Est » ou « Auvergne – Rhône-Alpes » sont aussi hétéroclites l’une que l’autre.

Les esprits éclairés l’ont bien compris. Pour conserver ces espaces historiques, géographiques, économiques, humains et culturels façonnés par des siècles avec un héritage commun ouvert et européen, il fallait imaginer une collectivité permettant la réunion de leurs deux départements respectifs.
L’Alsace avait récemment échoué devant le vote négatif de l’un des deux départements. La Savoie avait manqué le coche en 1973 au moment de la constitution des premières régions administratives. Devant la peur « indépendantiste savoisienne », ces deux départements avaient au moins créé une association commune « Savoie Mont-Blanc ».

L’Alsace vient de réussir sa réunion aux termes d’un vote quasi unanime des deux conseils départementaux du Haut-Rhin et du Bas-Rhin en demandant la création d’une « Collectivité Européenne d’Alsace » qui devrait se réaliser en 2021.
En Savoie, la réunion semblait acquise au vu de la position affichée publique des Présidents Gaymard et Monteil et l’opinion majoritaire de la population si l’on en croit les nombreux sondages qui se sont succédé depuis une dizaine d’années.

Le Président Monteil vient de parjurer grossièrement ses engagements en étant incapable d’avancer un argument raisonnable pour justifier le maintien de cette division et qui augure en effet la prochaine disparition des « radars » de la Savoie. Avec certains conseillers départementaux, il a préféré maintenir le statu quo des sièges, des modestes carrières politiques locales et des ambitions de ceux ou celles qui ne pourront échapper au couperet du cumul de mandats dans le temps. Ils l’ont fait sans aucun mandat et en étouffant le débat démocratique.
Comment justifier un tel aveuglement, contraire au sens de l’histoire et à l’intérêt général en dehors des misérables calculs de clientélisme ou d’ambition présidentielle ? Ils ne pourront même plus s’appuyer sur l’hostilité de l’Etat. Michel Barnier vient d’appuyer fortement ce projet de réunion de la Savoie avec le gage de la vision élargie d’un Commissaire européen.

Le Gouvernement doit examiner très prochainement la résolution prise par les deux Conseils Départementaux d’Alsace le 4 février 2019, à laquelle le Premier ministre avait déjà donné son accord. Tout en restant dans la région « Grand Est », la nouvelle collectivité rassemblera les compétences des deux départements avec des compétences élargies à la coopération transfrontalière, la culture, la mobilité ou le tourisme, entre autres. L’Etat conservera ses deux préfectures à Strasbourg et Colmar.

L’Alsace vient donc de donner l’exemple d’un modèle de collectivité à statut particulier avec la bénédiction de l’Etat pour répondre aux craintes exprimées en septembre 2018 par Monsieur Monteil. Pour réussir ce que les Alsaciens ont fait, il faut donc s’unir au-delà des esprits de clochers ou des crispations politiciennes.

Ce sera l’honneur des élus nationaux, départementaux et municipaux au-delà de leurs partis, pour prendre des initiatives fortes qui répondent aux souhaits de tous les habitants de la Savoie afin de constituer une collectivité unique « Savoie Mont-Blanc », comparable à celle d’Alsace.
Suivons sa voie. Faisons Savoie.

 
Jean Luc Favre

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