Petite histoire du régionalisme savoyard (jusqu’en 2007)

Cela fait 150 ans qu’il rame à contre-courant. Du MRS à la Ligue savoisienne, d’Amélie Gex à Mickey Chabert, de revendications en exclusions, retour sur l’histoire du régionalisme savoyard.

Article de Brice Perrier, publié dans le n°13 de la Voix des Allobroges (été 2007) , reproduit ici.

http://www.lavoixdesallobroges.org/dossier/377-histoire-du-regionalisme-savoyard

En 2007, tandis qu’était diffusé sur France 3 le film Chassons l’occupant (voir le film), La Voix publiait un dossier sur l’histoire du régionalisme savoyard. Le but était notamment de comprendre comment il s’était retrouvé tout entier « dans les choux », comme disait Claude Barbier, co-fondateur d’une association alors en profond sommeil, La Région Savoie j’y crois (voir ici). A l’époque, le Mouvement Région Savoie n’existait plus vraiment en tant que tel, contrôlé par une Ligue Savoisienne qui venait d’aller aux élections sans être capable de fournir des bulletins de vote. Les héros du film, le noyau dur de la Confédération savoisienne, apparaissaient ainsi comme les derniers dinosaures d’une cause presque abandonnée. Les choses ont un peu changé, comme les lecteurs de ce site le savent. Mais l’un d’entre eux nous a demandé une piqûre de rappel historique. Voici donc cette fois sur le net une petite histoire du régionalisme savoyard.

ameliegexD’Amélie Gex aux Savoyard de Savoie

Dès l’annexion de 1860, des voix, comme celle d’Amélie Gex (voir ici), se sont élevées pour manifester leur défiance devant les méthodes utilisées par la France pour s’attirer les faveurs des Savoyards. En 1871, les troupes qui venaient de mater la commune de Paris sont même venues calmer les ardeurs du comité de Bonneville. Il réclamait un nouveau vote, estimant que celui de 1860, « œuvre de la pression impériale, n’avait pas été la manifestation libre des aspirations de nos contrées ». En 1882, le mémoire des barreaux de Savoie plaidait déjà pour que la cour d’appel reste à Chambéry, comme promis. Et dans les années 1920, après la suppression de la zone franche de Savoie du nord, des parlementaires savoyards réclamèrent le maintien des droits acquis, appelant même à une région de Savoie. Mais l’origine du régionalisme savoyard actuel remonte à 1965, lorsque l’écrivain Henri Planche prend l’initiative de créer le Club des Savoyards de Savoie, afin de constituer un réseau de Savoyards de souche affirmant leur identité. Cinq ans plus tôt, cet Aixois avait écrit une pièce pour le centenaire de l’annexion, Le pays où coulent nos rivières. « Il pensait avoir un talent littéraire et est parti à Paris avec sa pièce en imaginant être accueilli à bras ouvert. Mais il a été pris comme le provincial qui débarque. Il en a été très vexé et, après un semi-échec, il est rentré en Savoie où il a créé le club un peu en répulsion par rapport à l’accueil que les Savoyards de Paris lui avaient réservé », confie Stéphane Mériguet, qui rejoignit vite le mouvement avec une forte délégation chablaisienne. Dès 1967, las de l’autoritarisme de Planche, les Chablaisiens mettent en minorité les fondateurs du Club, qui vont le quitter. Henri Planche et Paul Rebotton créent alors le Cercle de l’Annonciade, dont la revue, Présence savoisienne, paraît en juillet 1968. Le mouvement est déjà divisé, mais il est lancé.

logoMRSLe MRS se dresse face au machin rhônalpin

En 1972, arrive l’Etablissement public régional, qui succède à la Région de programme. Les conseils généraux doivent se prononcer sur leurs délimitations. L’Annonciade et les Savoyards de Savoie se rassemblent pour créer le Mouvement région Savoie, avec pour objectif que « la Savoie ne soit pas diluée dans le machin rhônalpin ». Le MRS se met à démarcher les élus et obtient vite des résultats. Le 5 novembre 1972, à Bonneville, un congrès est organisé rassemblant 430 conseillers généraux, maires et adjoints qui votent à la quasi-unanimité pour une région Savoie. « Une pétition a recueilli environ 100 000 signatures, souligne Stéphane Mériguet. Mais Paris a voulu mettre le mouvement au pas. Dans un pays annexé depuis peu, on ne voulait pas voir apparaître des vues indépendantistes, ce qui n’était pas du tout notre intention. On a été infiltré par les RG qui ont fait disparaître la pétition. Et les maires favorables à la région Savoie étaient menacés de voir leurs subventions supprimées. » Arrive le 15 mai 1973. Le matin, influencé par Joseph Fontanet, conseiller général mais surtout ministre de l’Education qui ambitionne de devenir Premier ministre, le conseil général de Savoie vote largement en faveur de Rhône-Alpes. L’après-midi, en Haute-Savoie, Rhône-Alpes l’emporte d’une seule voix. Il est certain que la région Savoie y aurait été majoritaire si le vote avait eu lieu le matin, mais l’affaire était pliée après le refus venu de Chambéry.

Le peuple de Savoie se couche

« Les élus n’ont pas eu de couilles, estime Stéphane Mériguet. En faisant comprendre à ceux qui voulaient faire une carrière politique qu’il ne fallait pas jouer à ça, l’appareil d’Etat nous a plumé, relayé notamment par Fontanet et le sous-préfet de Thonon. Et finalement, le peuple de Savoie se couche dès qu’une autorité prend une décision. Il a toujours été soumis. Peut-être est-ce le syndrome de l’orphelin, car il a été abandonné par sa dynastie et recueilli par la France. Alors il lui est tout dévoué. Il n’a jamais eu l’habitude de se prendre en charge politiquement alors que, économiquement, il est pragmatique et manager. » Paradoxalement, le régionalisme savoyard est éminemment politique. « Si la plupart des régionalismes reposent principalement sur la culture et sur une langue, en Savoie, il a toujours été davantage fondé sur la notion de démocratie, constate Claude Barbier. Sans doute parce que la Savoie est voisine de la Suisse, qui est un modèle. » Si les régionalistes savoyards ne souhaitaient pas quitter la France, ils véhiculaient le désir d’une démocratie inspirée du fédéralisme dans une région dont le cadre ne serait pas préfabriqué et imposé d’en haut, mais « autodéfini par ceux qui lui donneront un contenu concret, réel, vivant », d’après le Livre blanc et rouge du MRS paru en 1973.

Mouvement region savoie septanteContre l’Etat nation pour une Europe des régions

« On nous accusait de vouloir défaire la France, mais on ne s’en prenait qu’à l’Etat-nation, qui devrait disparaître, se rappelle Josiane Floret, qui, avec son compagnon d’alors, le libertaire Max Molliet, fut une figure du MRS. A l’époque, je travaillais en Suisse avec Denis de Rougemont. Il nous semblait que la Savoie devait être une région transfrontalière qui pourrait servir de test pour l’élaboration de l’Europe des régions. Nous étions pour des régions à dimension variable en fonction des problèmes à traiter. C’était un discours tellement neuf. Mais pour la France, il était hors de question de toucher à Rhône-Alpes, présentée comme la grande région de taille européenne. Qu’y a-t-il pourtant de commun entre l’Ardèche et nous ?Au MRS, au-delà des clivages, on était tous d’accord pour sortir de Rhône-Alpes. Après, les divergences pouvaient revenir. Les gens se battaient pour savoir qui de Chambéry ou d’Annecy serait la capitale. Quelle importance ! Il y avait aussi une différence entre les Savoyards de Savoie, avec une approche très populaire, et l’Annonciade, où l’on trouvait des relents pétainistes, même si, après 1973, Présence savoisienne a connu un changement de discours. Mais c’était une époque passionnante et très stimulante intellectuellement. Le MRS a fait un gros travail pédagogique. Beaucoup se sont rendu compte de ce qu’était une région, même si c’est dommage que des grands élus ne se soient ralliés qu’après 1973. Les gens comprennent toujours après. »

Aux élections avec les Verts

L’échec de 1973 n’empêche pas le MRS de continuer à faire bouillonner les cerveaux durant toutes les années 1970. Et il a alors une bonne image, s’attirant une sympathie affichée par la plupart des grands élus. Même François Mitterrand soutiendra le projet de région Savoie avant l’élection présidentielle de 1974, se gardant bien de s’en souvenir sept ans plus tard. En 1985, le MRS, jusqu’alors resté informel, devient une association loi de 1901 en vue de se présenter aux premières élections régionales. Ce groupe de pression, réservoir à idées mises à disposition des élus, devient un petit parti qui fait un score honorable en 1986 : 6,27% en Savoie et 4,33% en Haute-Savoie. Le MRS établit un partenariat avec les Verts, grâce au maire d’Entremont et à une référence commune qui combine fédéralisme, régionalisme et écologie. « Nous étions tous imprégnés par Denis de Rougemont, expliquait Gilles Maistres en 2007. J’étais au bureau du MRS et des Verts. Chez ces derniers, même si cela a été difficile de faire comprendre qu’il fallait quitter la structure rhônalpine, on a monté une structure région Savoie. Nous avons présenté des candidats communs aux cantonales avec le MRS de 1985 à 1990. Puis la nouvelle direction du MRS nous a trouvés trop à gauche. Aujourd’hui, la structure région Savoie existe toujours chez les Verts, mais les adhérents ne savent même pas pourquoi. Et depuis l’arrivée de la Ligue savoisienne, le régionalisme est devenu un sujet repoussoir. »

jeandepingonJean de Pingon pour une Savoie libre

L’homme qui a contribué à faire du régionalisme un repoussoir, et pas que chez les Verts, c’est Jean de Pingon, le fondateur de la Ligue savoisienne, qui va très vite phagocyter la mouvance régionaliste. En 1992, après avoir publié plusieurs articles dans l’hebdomadaire Le Faucigny, dénonçant notamment la vision de l’annexion exposée par l’historien Paul Guichonnet, il se rend à une réunion du MRS. Il y fait la connaissance du célèbre potier Jean-Christophe Hermann (voir ici), à l’époque président des Savoyards de Savoie, et de Michel Duret. Les deux hommes qui viennent de prendre en main un MRS en fin de cycle. « De Pingon nous parlait des zones franches et ça nous intéressait, déclare Jean-Christophe Hermann. On le trouvait sympa et il nous faisait bien rigoler. Il me disait que, dans une Savoie libre, je serais ambassadeur de Chine ou que je m’occuperais de la culture. Et il gardait sur le cœur une lettre d’Otto de Habsbourg, qui l’aurait encouragé dans sa démarche. Mais on s’est rendu compte que, en fait, ce n’était pas de la rigolade. Il voulait être secrétaire du MRS et des Savoyards de Savoie, mais on n’a pas accepté, car c’était évident qu’il voulait récupérer les fichiers pour lancer un nouveau mouvement. » Jean de Pingon nie avoir voulu devenir secrétaire de ces associations. Et il livre sa vision d’un temps où, mis à part Henri Dénarié (voir ici) et une poignée de précurseurs de l’indépendantisme, personne ne voulait quitter la France. « Quand je publiais des articles, il n’y avait aucun débat possible. Tous les Français sont d’accords pour dire que Napoléon III truquait ses plébiscites, sauf pour celui sur la Savoie. Je me suis vite aperçu que jamais le MRS n’aurait obtenu la région Savoie. Et ils ne voulaient pas entendre parler de Savoie libre. Quand je leur ai dit que j’allais lancer la Ligue, Michel Duret, le président, m’a dit qu’ils se cotiseraient pour m’acheter une canne à pêche car je n’aurais pas un seul adhérent. Un an plus tard, il y en avait mille. » Bien plus que le MRS n’en a jamais eu.

Péronnier prend l’affaire en main 

En novembre 1993, Jean de Pingon publie un article de quatre pages dans Le Faucigny, « Renaissance », l’acte fondateur de la Ligue savoisienne.  Mais c’est Jean-François Péronnier qui va se charger de mettre en route un mouvement dans lequel de Pingon ne voudra jamais assumer officiellement de fonction exécutive. Alors représentant savoyard du CDCA (Confédération de défense des commerçants et artisans), Péronnier découvre au printemps 1994, sur les conseils d’un certain Jean-François Chabert, les articles de Jean de Pingon également publiés dans la revue Présence savoisienne. Ils affirment que la France n’a pas respecté le traité d’annexion, du fait de la suppression de la zone franche et de la zone neutralisée. De Pingon prétend que cette violation du traité le rend caduc, ce qui doit permettre à la Savoie de redevenir libre. « Je me suis dit que, si c’était vrai, il fallait qu’il se bouge le cul !, se souvient Péronnier. Et j’ai été voir Jean de Pingon, difficilement. Il m’a dit que ça n’intéressait personne. Alors je lui ai dit : “ Je vais vous la faire la Ligue savoisienne. ” Et je me suis mis à faire adhérer des gens comme un VRP, en commençant par tous mes potes du CDCA. » Pas vraiment le genre de ceux que l’on trouvait au cœur du bouillonnement cérébral de la grande époque du MRS. Mais Péronnier, qui devient président de la Ligue, recrute à tour de bras, parfois dans des bistrots, mais surtout dans des réunions publiques où de Pingon et lui présentent leur projet. Les gens y arrivent savoyards. Beaucoup repartent savoisiens.

peronnierLe président révoqué une fois le mouvement lancé

« Ceux qui sont venus là n’étaient pas des régionalistes, confie Joseph Grillet, adhérent des Verts et du MRS qui a très vite rejoint la Ligue. Le côté culturel ne les intéressait pas. Il y avait beaucoup d’artisans et de petits commerçants, avec une mentalité anti-fonctionnaire et anti-impôt. Si en haut on tenait un discours très policé et démocratique, en bas, ce n’était pas pareil ! » Celui qui représentait quand même cette base en tant que président allait bientôt être écarté. En avril 1996, Patrice Abeille, ancien normalien qui a rallié le mouvement dès ses débuts et qui vient d’être nommé chef d’un gouvernement provisoire, envoie au président une lettre de révocation. Elle fait suite à un coup de fil de Jean de Pingon, qui aurait déclaré à Péronnier : « Si tu ne te retires pas, dans quinze jours, la Ligue est foutue. » Bien que derrière lui, et alors qu’il ne les avait jamais dissimulées, les relations de Péronnier avec un CDCA étiqueté poujadiste étaient devenues nuisibles à une Ligue voulant désormais soigner son image. Elle se révélera expéditive avec celui qui avait été l’artisan de sa mise en orbite fulgurante. « Une fois que le mouvement a été lancé, on m’a jeté comme un paquet de linge sale », déplore aujourd’hui Péronnier.

« Ils avaient tous les chocottes de la Ligue »

Alors que la Ligue vit ce démarrage éclair et engrange les adhésions, les affirmations de Jean de Pingon sur la caducité du traité d’annexion intriguent. « Devant cette contestation du rattachement à la France, certains ont été secoués, explique Stéphane Mériguet. Des élus comme Jean-Paul Amoudry sont venus me voir en disant : “ Il a quand même des biscuits. ” Et c’est remonté à Paris, au plus haut niveau. » Au MRS, les dirigeants ne parlent plus d’acheter une canne à pêche à de Pingon. Et la Ligue y devient un sujet de profonde division. « Deux tendances sont apparues, confie Alain Favre, ancien président du MRS. Une qui trouvait la Ligue abominable, un peu dingue. Et une qui disait que ça faisait avancer le débat sur la Savoie. C’est que, de 1995 à 1998, elle faisait beaucoup de réunions avec beaucoup de monde. Et en 1998, j’ai voté pour eux aux régionales. » A la veille de ces élections, les responsables du MRS sont courtisés. « On devait se présenter, comme à chaque fois, confie Jean-Christophe Hermann. Et dans notre QG, quatre personnes sont arrivées : un écolo, un radical, un UDF et un quatrième qui finançait des campagnes. Ils nous ont fait des propositions très alléchantes pour présenter des candidats. Et puis nous avons été convoqués par Bernard Bosson à la mairie d’Annecy. Il nous a affirmé qu’il nous soutiendrait aux élections, avant de conclure en disant : “ Surtout, n’oubliez pas de faire votre devoir républicain. ” On a immédiatement voté de ne pas aller aux élections. Ils n’avaient qu’à se démerder avec le sire d’Abeille. Ils avaient tous les chocottes de la Ligue et ça nous faisait quand même plaisir, même si elle nous traitait en permanence de collabos. »

Patrice Abeille conseiller régional

abeillePatrice Abeille sera élu conseiller régional avec plus de 6% des suffrages en Haute-Savoie. Il  hérite même de la voix décisive pour l’élection de la présidence de la région. Après négociation, il l’accorde au socialiste Jean-Marc Queyranne, entraînant Charles Millon vers le FN. Abeille attire alors tous les projecteurs médiatiques, mais la Ligue perd une bonne partie de ses militants. « Ça a provoqué un clash, explique le Chablaisien Gérard Menu. Dans la vallée de Morzine, sur un canton, tout le monde est parti après ce vote. Ils n’avaient pas à décider à trois ou quatre de prendre partie pour x ou y. Je pense que plus de la moitié des adhérents a quitté la Ligue à cause de ça. » Gérard Menu est parti ensuite au MRS, mais il s’y retrouve en terrain ligué. Car au lendemain de ces élections, les Savoisiens vont en prendre le contrôle. Le président de l’époque, Michel Duret, ne l’a pas digéré. « On nous a mis un coup de poignard dans le dos. On s’est aperçu trop tard de l’entrisme et la Ligue a fait du MRS un mouvement godillot. » Cette prise de contrôle ne fut pas bien dure à réaliser, car il a suffi à la Ligue d’envoyer une vingtaine de ses membres pour obtenir une majorité. Si elle a agit ainsi, alors que Patrice Abeille avait écrit en 1995 que « LE MRS N’A SERVI A RIEN », c’est que ce dernier opposait son veto à l’entrée des Savoisiens dans Région et peuples solidaires, un rassemblement de régionalistes. Une fois ce veto levé, la Ligue allait pouvoir bénéficier des financements publics distribués lors des législatives grâce à des accords électoraux. Le MRS allait finalement servir à ramener quelques sous.

« Ils voient des complots partout »

uneLa Ligue va ensuite connaître ce qu’elle a qualifié de dérive clandestine (voir ici). Accusé sans preuve d’avoir des visées terroristes, Jean-François Chabert, dit Mickey, est exclu le 16 septembre 2001 par un courrier signé Patrice Abeille lui notifiant la possibilité de demander un recours sous quinze jours. Ce qu’il va faire par courrier avec accusé de réception le 25 septembre. Mais lors du congrès de la Ligue des 29 et 30 septembre, il est affirmé qu’aucun recours n’a été demandé et que l’affaire est close. Une pétition de soutien est lancée, mais tous les signataires sont sommés de revenir sur leur position, sous peine d’exclusion. Quarante-deux ligueurs ne répondent pas à la sommation. Et sont ainsi virés. Jean-Luc Dachaux, alors membre du conseil consultatif de la Ligue, son organe de contrôle, ne comprend toujours pas : « J’ai parlé à Patrice Abeille et Jean de Pingon, mais ils n’ont rien voulu savoir. C’était une aberration totale car la préoccupation première de Mickey a toujours été d’éviter les débordements. Mais ils voulaient se séparer de lui et ont trouvé une raison. » « Mickey a un langage que je n’utiliserais pas, mais de là à en faire un terroriste. Cette affaire est révélatrice du vrai visage de ceux qui dirigent la Ligue, estime Joseph Grillet, qui a fait partie des quarante-deux. Depuis le début, ils ont tout verrouillé car ils voient des complots partout. Mais là, demander aux gens de renier leur signature sous peine d’exclusion, c’est le pire des totalitarismes. C’est grave de se comporter comme ça avec des gens qui ont milité avant eux. »

Dans les choux

Cette exclusion collective a provoqué la naissance de la Confédération savoisienne, qui a rassemblé quelques centaines de personnes. Mais ils ne sont qu’une poignée à agir pour une Savoie libre respectée dans ce qu’ils estiment être ses droits légitimes, en maniant un langage sans nuance vis-à-vis d’une France qui reste pour eux l’occupant. La Ligue s’est présentée avec le MRS aux législatives en 2002, recueillant des scores avoisinant les 2%. Son chef a perdu son siège de conseiller régional, devenu inaccessible après un changement de mode de scrutin. Elle ne connaît quasiment plus aucune dynamique depuis déjà pas mal d’années et ses congrès rassemblent quatre ou cinq fois moins de participants que lors des années 1996-1998. En 2007, Guy Martin, l’un des deux porte-parole de la Ligue, avec Patrice Abeille, prétendait qu’elle comptait encore 3 000 adhérents, même si certains ne seraient pas à jour de cotisations. Mais avait-elle en fait encore les mille membres qu’elle avait réunis en un an à sa création ? Ce qui est sûr, c’est que 136 personnes ont inscrit le nom d’un candidat savoisien sur le bulletin qu’ils ont glissé dans l’urne lors des dernières législatives, alors que dix-sept mille avaient voté savoisien aux régionales de 1998. Pourtant, au secrétariat de la Ligue, où l’on s’installait en cette année 2007 dans de nouveaux bureaux à Ugine, on affirmait « être en plein essor », grâce au partenariat avec le MRS dans une nouvelle structure, Savoie Europe Liberté. Le président du MRS, Alain Favre, lui, confessait que « tout est au point mort. » A peu près la même analyse que le « dans les choux » de Claude Barbier.

Le MRS reverdit 

mrs1Depuis 2007, la situation a tout de même évolué, avec notamment un MRS qui a fait une sorte de retour aux sources en prenant plus ou moins par surprise son indépendance vis à vis de la Ligue, quittant Savoie Europe Liberté pour rallier Europe Ecologie. Les écologistes savoyards redécouvraient ainsi, tant bien que mal, pourquoi ils étaient structurés en région Savoie. Alors que l’indépendantisme avait pris le pas sur le régionalisme, celui-ci reprenait quelques couleurs, vertes, et gagnait même un élu en la personne de Noël Communod qui, passant de la présidence de La région Savoie j’y crois à celle du MRS, devint conseiller régional en 2010 (voir ici). Les indépendantistes, eux, se sont remis à revendiquer des droits provenant de la situation juridique particulière de la Savoie consécutive au traité d’annexion de 1860. Cela n’était pas l’œuvre de la Ligue, qui semble plus que jamais végéter, mais d’abord celle d’un avocat français ayant porté l’affaire jusqu’à l’assemblée nationale, Fabrice Bonnard (voir ici). Apparurent également des groupements plus ou moins informels qui viennent de se rassembler dans un nouveau parti, le Mouvement des citoyens de Savoie (voir ici). Ses figures de proues sont des exclus de la Ligue de la première heure, Jean-François Péronnier ainsi que Colette et Pierre Biguet.

Une marque en guise de région Savoie

Du côté institutionnel, les présidents des conseils généraux de Savoie et de Haute-Savoie ont laissé entendre qu’ils pourraient fusionner dans une collectivité territoriale d’un nouveau type qu’Hervé Gaymard a appelé Conseil des Pays de Savoie. Une sorte de super département, ou de mini-région. Mais le moins qu’on puisse dire est que cette fusion n’apparaît pas comme une priorité (voir ici), surtout depuis qu’on ne parle plus de supprimer le département. Et au-delà des tergiversations politiciennes ou de la revendication de droits qu’on dit encore acquis bien que toujours mal définis, la Savoie se réduit de plus en plus à une simple marque à consommer. Labellisée Savoie Mont-Blanc, elle permet de vendre du fromage aux touristes et de faire tourner les tiroirs caisses des remontées mécaniques. Mais on est vraiment très loin de la région envisagée par Denis de Rougemont comme un modèle de démocratie pour une nouvelle Europe, fondée sur une terre et une histoire communes à un peuple dont la croix est la bannière. Trop avant-gardiste dans les années 1970, son heure n’est toujours pas venue aujourd’hui. Faudra-t-il attendre la fin du vieux monde des nations (voir ici) pour qu’émerge enfin cette région ?

Brice Perrier

La version initiale de cet article a été publiée dans le n°13 de la VDA (été 2007)

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