Ironie au Sénat : « Vive la Savoie libre ! »

Dans la soirée du 21 janvier, le Sénat a examiné, dans le cadre des débats sur la loi NOTRe (Nouvelle Organisation Territoriale de la République), un amendement à cette loi déposé par le sénateur Michel BOUVARD et proposant la création d’une collectivité Savoie Mont-Blanc, sur le même modèle que la proposition de loi déposée à l’Assemblée nationale par Hervé GAYMARD.

 

 

On trouvera ci-dessous le compte-rendu du bref débat autour de cet amendement, suivi de quelques remarques :

 


 

 

« M. le président. – Amendement n°792 rectifié ter, présenté par M. Bouvard.

(…suit l’énoncé de l’amendement portant création de la collectivité territoriale de Savoie Mont-Blanc…)

M. Michel Bouvard. – J’espère qu’on donnera quitus aux représentants de la Savoie de leur constance. Cet amendement reprend l’intégralité d’une proposition de loi réunissant les deux Savoie. La Savoie a été divisée en deux départements, la Savoie et la Haute-Savoie, par un acte constitutionnel de 1860, lors de son rattachement à la France. Dès 1982, l’entente régionale, voulue par les présidents Barnier et Pellarin, organisait l’exercice commun de certaines compétences.

Avec la création de l’Assemblée des Pays de Savoie, en 2001, nos deux départements ont mis en commun leurs actions en matière de tourisme, de soutien à l’agriculture de montagne, de développement économique, d’enseignement supérieur et de recherche -notamment avec l’Université de Savoie-, de culture et de lecture publique.

Nous proposons la création d’une collectivité territoriale à statut particulier, sur le fondement de l’article 72 de la Constitution. Ce n’est ni un amendement de nostalgie ni de repli identitaire ; nous portons un modèle économique différent qui doit perdurer au sein de la nouvelle région.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. – Félicitations, l’amendement s’étale sur douze pages. Intéressant, mais vous compliquez les choses : un dispositif général existe pour fusionner deux départements. Ce qui complique tout est de mettre dans la boucle l’assemblée des pays de Savoie. La commission n’a pas été capable de vous suivre sur une telle complication et n’a pas été en mesure de donner un avis favorable à cet amendement.

M. André Vallini, secrétaire d’État. – Même avis.

M. Roger Karoutchi. – Ah ! L’Isère…

M. André Vallini, secrétaire d’État. – Pourquoi une collectivité à statut particulier, à l’instar de la Corse ? Je connais la forte identité savoyarde en tant que voisin ; il existe des indépendantistes « savoisiens » dont le secrétaire général, M. Patrice Abeille…

M. Michel Bouvard. – Il est mort ! (Sourires à droite)

M. André Vallini, secrétaire d’État. – Plus de manifestants devant la préfecture de Chambéry, alors ?

M. Ronan Dantec. – Durant les débats sur la loi Maptam, nous avons défendu la fusion des départements. L’Alsace… La demande savoyarde va dans le même sens. N’a-t-on pas intérêt à aller vers 40 à 50 départements ? Parlons de l’Ille-et-Vilaine et de la Loire-Atlantique.

Mme Nicole Bricq. – Oh non ! (Rires)

M. Ronan Dantec. – Entre Rennes et Nantes, un seul axe.

Le groupe écologiste votera cet amendement. Ironie de l’histoire, le département, création révolutionnaire, va devenir le lieu de reconstitution des identités régionales historiques…

M. Pierre-Yves Collombat. – Nous reconstituons la France d’Ancien régime…

M. Philippe Dallier. – Un 21 janvier ! (Rires, [date anniversaire de l’exécution de Louis XVI en 1793])

M. Pierre-Yves Collombat. – Des règles particulières partout… Si j’étais en meeting, je conclurais en disant : Vive la République !

M. Didier Guillaume. – La République est une et indivisible mais elle est diverse. La République est plus forte que la fusion de deux départements. Ne recréons pas des provinces d’il y a trois cents ans par le subterfuge d’un amendement. En revanche, que l’État accepte l’expérimentation, reconnaisse la volonté de certains territoires comme la Drome et l’Ardèche de travailler ensemble : les délibérations communes de deux conseils généraux devraient se voir reconnaître la force juridique. C’est cela, la République modernisée ! (Mme Françoise Gatel applaudit)

M. Michel Bouvard. – Merci au rapporteur et au ministre de l’intérêt qu’ils ont porté à mon amendement. Merci aussi au président Guillaume : effectivement, nous ne voulons pas reconstituer les provinces d’Ancien Régime : la Savoie n’en faisait pas partie. (Sourires)

Notre démarche vient de l’incertitude pesant sur les départements ; nous voulons que l’Assemblée des pays de Savoie se substitue demain aux conseils généraux s’ils viennent à disparaître.

Nos deux départements sont les premiers en énergies renouvelables, avec 200 chercheurs. La carte de la Datar de 1992 montrait la cohérence économique des deux Savoie, où habitent de nombreuses personnes nées ailleurs : l’affaire n’est pas identitaire.

M. Michel Canevet. – Effectivement, comme le dit M. Bouvard, il est temps de faire preuve d’audace. Hier, nous avons regroupé des régions de force ; pourquoi ne pas respecter la volonté de territoires comme la Savoie ou la Bretagne de travailler ensemble différemment ?

M. Bruno Sido. – « Vive la Savoie libre ! »

 

A l’issue du vote, l’amendement n°792 rectifié ter n’est pas adopté. »

 

Il était déjà tard et le texte n’a donc pas fait l’objet d’une longue discussion avant son rejet. Néanmoins quelques points intéressants et révélateurs auront été mis en lumière. Après un rappel clair et pragmatique par M. BOUVARD des raisons d’être de cet amendement, le rapporteur J.J. HYEST et le ministre A. VALLINI ne laissent guère planer de doute sur le sort qui va être fait à cet amendement. Notons malgré tout que le rapporteur laisse entendre qu’une fusion simple des deux départements savoyards est rendue possible par la loi (voire plus souhaitable ?). Bien que cette possibilité ne règle en rien le problème des compétences, elle aurait le mérite de réunifier une Savoie historique divisée en deux départements en 1860, et par la suite demander à nouveau plus de compétences pour ce département unique…

Apparaît aussi une nouvelle fois, l’obstination du gouvernement à ignorer les identités régionales composant la France. Après avoir refusé le retour de la Loire-Atlantique et Nantes au sein de la région Bretagne, et s’être entêté à faire disparaître l’Alsace, la tactique est ici de faire glisser le débat du côté de l’indépendantisme savoisien en invoquant l’esprit de la défunte Ligue Savoisienne et de Patrice Abeille et rappelant les manifestations savoisiennes devant le palais de justice de Chambéry. Le but inavoué : hérisser le poil des sénateurs jacobins encore présents à cette heure tardive et provoquer leur réaction. Ainsi P.Y. COLLOMBAT pointant du doigt le spectre d’une reconstitution de la France d’Ancien régime et l’établissement de règles particulières à chaques régions, forcément synonyme d’archaïsme ! B. SIDO venant couronner le tout d’un « Vive la Savoie libre ! » juste avant la mise aux voix… Le but est de toute façon atteint, et le soutien argumenté du sénateur breton R. DANTEC et de D. GUILLAUME n’y changeront rien, et M. BOUVARD aura beau tenter de faire revenir la discussion vers des considérations plus actuelles et constructives, le débat est plié.

 

La suite au prochain épisode : il faudra voir quel sort sera réservé à la proposition de loi d’Hervé GAYMARD lors de son examen à l’Assemblée nationale. Mais il est à craindre que le même sort l’y attende : la France est encore et toujours un pays parisiano-centré et jacobin, arc-bouté sur de vieilles valeurs dépassées qu’une partie de la classe politique et des énarques qui gouvernent ce pays croient encore neuves et promises à un destin universel et éternel. Pourtant, au cours du débat, R. DANTEC a malicieusement fait remarquer que « Ironie de l’histoire, le département, création révolutionnaire, va devenir le lieu de reconstitution des identités régionales historiques ». Plus de 200 ans après leur suppression par les révolutionnaires, les vieilles provinces françaises forgées aux cours des siècles sont toujours là dans l’esprit de leurs habitants, à plus en forte raison en Savoie, française depuis « seulement » 150 ans…

En attendant, « vive la Savoie libre » et vive la République Une, Indivisible et Diverse…

 

Rodolphe GUILHOT

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