Concours nationaux et hiérarchies culturelles : égalité et régionalisation

La réforme territoriale voulue par le gouvernement a permis à beaucoup de Français de mieux prendre conscience de leur identité régionale. Un des problèmes majeurs qui se posent aux régions est cependant la manière dont l’école de la République uniformise la culture : les programmes d’enseignement, mais aussi ceux des concours de recrutement, sont nationaux.

Il est vrai, dira-t-on, qu’il existe des CAPES de langue régionale : pour le corse, le breton, le basque, l’occitan, le catalan, le créole. Mais il faut d’emblée remarquer que la Savoie n’est pas représentée : le francoprovençal-arpitan (sa langue spécifique, parlée aussi dans le Dauphiné, le Lyonnais, le Forez, et les régions limitrophes de Suisse et d’Italie), n’a pas son concours de recrutement propre. Cela signifie que les auteurs qui ont écrit en cette langue n’ont pas droit de cité dans l’enseignement de littérature : Amélie Gex disparaît de l’horizon, tout comme le Bressan Bernardin Uchard, la Lyonnaise Marguerite d’Oingt, la magnifique chanson de geste (sans doute composée à Vienne, en Dauphiné) de Girart de Roussillon, mon arrière-grand-oncle Jean-Alfred Mogenet, Joseph Béard, Just Songeon, tout cela passe à la trappe – est plongé dans les oubliettes !

 

Mais même sans se focaliser sur la Savoie, il faut remarquer qu’il n’existe pas d’agrégations pour ces langues régionales, comme il en existe pour les langues étrangères d’État, ou la littérature française : cela crée une inégalité, qui n’est pas sans rappeler celle de l’enseignement privé catholique comparé au public : car l’unique concours de recrutement de l’enseignement privé équivaut au CAPES. Comment ne pas se souvenir dès lors que les langues régionales ont été souvent combattues parce qu’elles étaient liées à l’Église catholique ? Le fait est que les textes médiévaux en francoprovençal-arpitan sont teintés de christianisme : Marguerite d’Oingt était une visionnaire qui évoquait le Christ cosmique sur le corps duquel étaient reflétés les Anges, et la Chanson de Girart de Roussillon se termine par de beaux et étranges miracles, manifestant la présence divine. À la Révolution française, le breton était regardé comme ayant partie liée avec la superstition ; et à la fin du dix-neuvième siècle, le breton, encore, le basque et le flamand ont été proscrits parce qu’ils étaient utilisés par les prêtres à l’église.

Mieux encore, ne peut-on pas être surpris par l’absence totale de concours de recrutement de l’enseignement de la théologie ? Car si on voulait réclamer que François de Sales entrât dans les programmes des concours, on pourrait s’entendre rétorquer qu’au moins en philosophie ce n’est pas possible, puisque c’est en théologie qu’il était docteur. Mais son absence dans les programmes officiels d’enseignement le marginalise. Or, la Savoie a été une terre profondément catholique, qui n’a pas eu réellement de philosophes avant Joseph de Maistre, et encore celui-ci était-il, par sa réflexion, proche des théologiens. Au dix-huitième siècle, pourtant, Hyacinthe-Sigismond Gerdil avait brillé par de beaux écrits, et auparavant, au seizième siècle, Pierre Favre se montra créatif comme penseur : car la théologie peut tout à fait se montrer inventive ; elle peut même se montrer poétique et pleine d’images grandioses, comme chez Amédée de Lausanne, au douzième siècle.

Par son système de programmes nationaux, en réalité, l’État central établit une hiérarchie au profit de la culture officielle, à la fois parisienne et agnostique. La Savoie à cet égard est deux fois défavorisée, puisque sa langue propre n’est pas représentée, ni sa littérature religieuse.

La solution est soit de supprimer les concours de recrutement et les programmes d’enseignement nationaux détaillés, soit de régionaliser l’éducation en général. Car la situation actuelle hiérarchise d’une façon excessive le patrimoine culturel, privant en réalité de liberté les citoyens, leur ôtant des possibilités de choisir ce qui, individuellement, leur convient.

 

Rémi Mogenet, Vice-Président du MRS.

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