Lorsque le président de la République annonçait la relance de la réforme territoriale début 2013, on a voulu croire qu’enfin, après 10 années de tergiversations, la « mère de toutes les réformes » allait prendre corps. La phrase-clé de son discours sonnait comme un écho à la charte européenne de l’autonomie locale. Enfin, un gouvernement français allait laisser de l’autonomie à ses collectivités, comme dans la majorité des pays européens.
« Le temps est venu de laisser plus de liberté aux collectivités, y compris pour imaginer des configurations adaptées à la réalité des territoires » François Hollande 17 mars 2013
Las, le débat s’enlisait à nouveau : annulation politique des conseillers territoriaux créés par Sarkozy, redécoupage politique des cantons et mode de scrutin illisible, valse-hésitation, mesures brouillons, création de métropoles déséquilibrant les territoires… bref, une désillusion totale.
La déroute électorale porta sur le devant de la scène un nouveau premier ministre, Manuel Valls. Son discours choc devant le parlement le 8 mars 2014 relançait le processus.
Manuel Valls donne le ton de ce qu’il veut et lance un ultimatum aux régions dont il annonce qu’il veut diminuer leur nombre par deux «Fusionnez avant fin 2016, sinon j’établirai une nouvelle carte des régions au 1° janvier 2017 »
Une seconde déroute électorale aux élections européennes menant le gouvernement au bord du gouffre, Valls poussa son président à agir sur ce terrain et à annoncer très vite, « ex-cathedra », comme un roi l’aurait fait à son peuple, le nouveau découpage.
Certes, ce découpage régional fera l’objet d’un vote au parlement, mais une telle annonce donne le ton et la signification de la réforme : une réforme jacobine pilotée par l’Etat. Hollande consulte les partis, mais pas les collectivités, pourtant directement concernées. C’est très signifiant au moment où les français viennent de dire leur défiance aux partis « de gouvernement ». Enfin, hors de question de faire un referendum, martèle Valls.
L’avenir des régions ne devrait-il pas se décider en région ?
Napoléon avait organisé la France du haut de son trône. Mais nos règles démocratiques ont évolué et la Constitution est claire : les régions sont des collectivités territoriales ; à ce titre, elles bénéficient du principe de subsidiarité, de l’autonomie financière, de la non-tutelle d’une collectivité sur une autre (de l’Etat ?) de la libre administration des collectivités et de la charte européenne de l’autonomie locale.
Hollande s’est assis sur tout cela pour décider seul du bon découpage régional dans l’intérêt de la France ; l’objectif est en fait celui de Valls : reprendre en main les collectivités.
Il sera plus facile de maîtriser 12 présidents de régions que 24 régions et 100 départements. Tous les moyens de contrôle que veut se donner l’Etat sur ces 12 régions figurent dans le second projet de loi qui va suivre la loi sur le découpage.
La réforme territoriale, quoiqu’il arrive, ne peut plus être différée ; mais tout se passe comme si le gouvernement voulait en profiter pour « passer en force »
1. Le faux-nez des grandes régions cache une recentralisation importante.
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Le choix d’annoncer, pour des raisons de communication politique, le découpage de la France en grandes régions, sans le moindre respect pour les départements, échelon de proximité dont on annonce la suppression constitue une première erreur. Le respect des collectivités est inscrit dans la Constitution.
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Seconde erreur : celle de vouloir faire une telle réforme sans modifier la Constitution par crainte de ne pas avoir la majorité du Parlement. Il s’agit de la même erreur que pour la réforme Sarkozy de 2010. C’est en fait la pratique française du vote camp contre camp qui bloque notre vie politique (voir l’épisode du conseiller territorial).
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Troisième erreur : ne pas permettre aux collectivités de choisir en leur disant qu’on a choisi à leur place est anticonstitutionnel ; ainsi, ne pas laisser aux départements le libre choix de quitter telle région ou de rejoindre telle autre (ce qu’on appelle « le droit d’options ») , c’est nier le peuple.
Le non-respect des collectivités est le péché originel de cette reforme
Mais pourquoi l’Etat veut-il absolument des grandes régions ? Depuis 15 ans, ce sujet revient régulièrement sur la table. L’argument avancé par le Comité Balladur en 2002 était simple : les régions françaises étaient trop petites et trop peu peuplées et qu’il fallait donc des régions à « taille européenne » pour qu’elles soient plus fortes.
Manuel Valls ne donne pas de raison explicite, mais estime que les collectivités dépensent trop et il veut tout simplement les mettre sous contrôle étroit pour réaliser des économies.
C’est une triple tromperie :
Première tromperie : Le concept de « taille européenne » n’a jamais été défini, et pour cause. La taille moyenne des régions en France métropolitaine est de 24 726 km² et de 2 839 000 habitants. Si nos régions sont moins peuplées que les régions allemandes à cause d’une densité inférieure, elles sont par contre tout à fait comparables aux régions espagnoles ou italiennes. On constate aussi 4 États européens ayant une superficie inférieure à la moyenne des régions françaises, et 6 États ayant une population inférieure à cette moyenne ! Le PIB par habitant est le plus élevé dans les petites régions. La taille européenne des régions n’existe pas. C’est un mythe bien français. C’est un slogan jacobin.
Ce qui prévaut au contraire c’est l’extrême diversité de la taille des régions, y compris au sein d’un même État.
Seconde tromperie : L’argument démocratique : Annoncer qu’on a entendu l’appel des français à plus de démocratie et de proximité d’une part et annoncer dans le même discours la suppression de l’échelon de proximité qu’est le département et l’effacement de la commune. Imposer sans concertation de créer des régions plus grandes donc plus éloignées encore du citoyen relève de la provocation ou de l’autisme.
Les super-régions, complètement contrôlées par l’Etat, deviendront des technostructures qui n’auront plus rien à voir avec la notion de collectivité d’habitants d’un territoire.
On veut donner aux régions de nouvelles compétences, mais dans le même temps, les schémas directeurs seront dictés par Bruxelles (fonds structurels obligent !) et Paris et soumis au verdict du préfet et de l’Etat : on revient 50 ans en arrière sur l’autonomie régionale.
Un referendum pour valider la « mère de toutes les réformes » : Valls l’écarte d’un revers de la main alors que son parti vient de perdre 30.000 élus sur 60.000 en trois mois, alors qu’il ne pèse que 14% des votants (soit à peine plus de 5% des électeurs)
Troisième tromperie : L’idée selon laquelle « plus on mutualise, plus on économise » est fausse. En fait, les coûts de fonctionnement par habitant sont d’autant plus élevés que la structure est grosse ; La Cour des comptes le dit et l’ETAT en est évidemment l’exemple le plus voyant. Vallini, chargé de mission auprès de la ministre avait annoncé bien imprudemment 30 milliards d’économies ; le chœur des ténors socialistes l’a vite désavoué et l’agence Moody’s l’a confirmé.
La peur que l’Etat aurait de perdre sa mainmise sur les collectivités semble le vrai fondement de ce projet de réforme. Le projet est de rétablir les grandes « régions de programme » des années soixante, quand l’Etat aménageur, piloté par une DATAR toute puissante, avait quadrillé le territoire de zones d’activités.
L’article 1 du projet de loi est particulièrement clair : les collectivités sont les mieux désignées, dans le cadre de leurs compétences et en lien avec l’administration territoriale de l’Etat, pour assurer la déclinaison et la mise en œuvre des stratégies nationales ».
L’Etat stratège pilote tout, l’administration territoriale perdure et le rôle des 12 « régions INSEE » qui vont subsister sera de décliner les stratégies régionales. Les régions, circonscriptions administratives de l’Etat !
On pourrait ajouter, avec un sourire crispé, que chacune des 12 capitales régionales sera joignable en une journée aller-retour par TGV de Paris.
Les régions « à taille européenne » ? c’est une fumisterie.
Ce qu’en pense Alain Rousset, le président de la région Aquitaine et président de l’ARF (association des régions de France) :
Alain Rousset n’hésite pas à retoquer cette approche : « L’essentiel, ce n’est pas la taille, c’est la puissance. Nous sommes, à compétence égale, avec les autres régions européennes, dans un rapport de 1 à 5 pour l’action en faveur de l’emploi, l’innovation, la recherche… » Et d’ajouter : « La taille des régions françaises est dans la moyenne européenne. Elles ne sont pas plus petites que les autres. Si vous mettez deux régions ensemble avec le même niveau d’intervention, ça ne changera strictement rien. »
Rousset réfute aussi catégoriquement l’argument des économies pour le budget de l’État – entre 12 et 25 milliards d’euros espérés. « La fusion des régions n’apportera aucune économie, martèle-t-il. Il y a moins de 1 % de fonctionnaires en dehors des collaborateurs et des agents des lycées. Au contraire, les frais de fonctionnement vont augmenter. »
Pis, selon lui, ces ensembles régionaux porteraient en eux le gène de nouvelles désillusions électorales : « Si nous créons de très grandes régions, on désincarnera nos actions au quotidien. Ce qui entraînera un vote politique de rejet, et nous risquons d’avoir le Front national à la tête de certaines régions. Ce serait dramatique pour la fin du quinquennat du président de la République. »
Pour Alain Rousset, ce n’est pas sur le dos des régions que l’État soignera ses finances. À ses yeux, il faut surtout une réforme globale qui impose la suppression des départements et le regroupement des intercommunalités. « La multiplication des intercommunalités a coûté très cher en frais de fonctionnement », glisse-t-il.
« Si le Sénat ne retient de la réforme que la fusion des régions, ce sera un échec. Il n’y aura pas de réforme. »
- Avec ce projet de loi la France s’éloigne encore des pratiques européennes
Si l’objectif était vraiment d’aller vers la reconnaissance du rôle des régions comme principale collectivité territoriale, il aurait fallu proposer un véritable pouvoir normatif sur leur territoire et une fiscalité propre : en lisant bien le second projet de loi, celui qui va suivre l’annonce du découpage, c’est l’inverse qui a été choisi.
Démontons-le point par point :
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L’article 1 (déjà cité) commence tout bonnement par limiter la compétence des régions aux compétences prévues par la loi. Cette précision ajoutée à la suppression de la clause de compétence générale fixe nettement le cadre limité du projet.
Dans l’exposé des motifs, il est précisé le rôle de l’Etat (au sens large) et que « les collectivités sont les mieux désignées, dans le cadre de leurs compétences et en lien avec l’administration territoriale de l’Etat, pour assurer la déclinaison et la mise en œuvre des stratégies nationales ».
On ne peut être plus clair : les collectivités sont au service de l’Etat, pas au service de leurs habitants. Cette affirmation se fait au mépris de deux principes de notre constitution : l’autonomie financière des collectivités et le principe de subsidiarité ; c’est aussi en contradiction avec la charte européenne de l’autonomie locale que la France a ratifiée.
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La suppression de la clause de compétence générale va radicalement à l’encontre du principe de subsidiarité.
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Le projet de loi émet ensuite le principe pour les régions d’un « pouvoir règlementaire », voire même d’adaptation des lois, une demande ancienne des régionalistes ; mais las, ces propositions doivent être transmises au Préfet et au premier Ministre. Aucune confiance n’est faite aux régions.
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Le « schéma prescriptif » est le plus beau morceau du faux-nez de la reprise en mains. Sous couvert de larges compétences données aux régions en économie et aménagement du territoire notamment. Les maxi-schémas stratégiques régionaux regroupant un grand nombre de sujets sont surtout l’occasion pour l’Etat de reprendre en mains tous ces « petits » schémas directeurs que des VP écologistes régionaux avaient pris en main et dont le contenu commençait à échapper à l’Etat : air, eau, intermodalité, climat, énergie… Ils sont supprimés et regroupés dans un grand schéma (plus c’est gros, plus c’est contrôlable). En effet, il est dit que ces grands schémas doivent faire l’objet d’une « concertation étroite » entre l’Etat et la région ; ensuite « le document adopté par le conseil régional à l’issue de cette concertation et des procédures d’évaluation et d’enquête publique, est approuvé par arrêté du préfet de région ; c’est cet arrêté qui confère au schéma son caractère « prescriptif ». Mascarade de démocratie : on fait fi des élus.
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Mais que veut donc dire « prescriptif » ? Tout simplement que l’Etat va utiliser les régions comme son bras armé en leur demandant d’imposer des règles aux collectivités infra et de les contrôler ; bref, on est revenu aux régions administratives de 1972 et les régions ressembleront davantage à des administrations déconcentrées qu’à des régions adultes et autonomes. Tout cela est parfaitement contraire à notre Constitution.
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Mais en plus, aucune fiscalité, aucun moyen propre n’est donné aux régions pour exercer en autonomie ces compétences. Bien plus, l’Etat continuera nécessairement à conserver ses effectifs pour « élaborer en commun, évaluer, financer la mise en œuvre, contrôler…. ». Sans moyens financiers propres, cette réforme n’a aucun sens. Les régions en sont réduites à quémander une « dotation » et celle-ci peut même devenir un outil de chantage (si vous ne fusionnez pas, vous aurez un malus, si vous êtes un bon élève, vous aurez un bonus !) : on va demander la soumission aux régions.
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Le pouvoir pourra même, après le vote de cette loi, intervenir par ordonnance pour étendre les domaines de « compétences » (entendons les tâches administratives que l’Etat délèguera aux régions : l’Etat stratège et les régions exécutantes !
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Dans le domaine économique, les régions ont dû élaborer en 2010 le SRDEI (schéma régional de l’économie et de l’innovation), avant même qu’il soit appliqué totalement, nous devons mettre en œuvre en 2014 la SRI-SI pour répondre aux directives européennes de gestion des fonds structurels ; les fonds européens devant être abondés pour être accordés, les élus régionaux n’ont plus leur mot à dire. Maintenant, pour 2015, il faudra recommencer et faire un schéma dicté pour partie par l’Europe et pour le reste par l’Etat (pôles de compétitivité…) : le SRDEII : schéma régional de développement économique d’innovation et d’internationalisation. Les régions n’ayant plus de marges de manœuvres deviendront des exécutantes des politiques décidées à Bruxelles et à Paris.
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Mais ce n’est pas fini : la loi supprime l’essentiel des compétences économiques des départements (agences économiques) qui avaient une certaine latitude d’action. Le caractère prescriptif, là encore, consistera pour les régions à décliner le SRDEII dans les départements.
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Et enfin, cerise sur le gâteau, la compétence ESR (enseignement supérieur-recherche) n’est même pas citée. Il est vrai que les CPER fléchaient déjà beaucoup les aides de l’Etat qui ne faisaient que transiter par les régions ; mais la loi Fioraso de 2014 a repris l’essentiel de la maigre autonomie universitaire, a entrepris de centraliser en regroupant : toujours plus gros pour mieux contrôler.
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Même si les tribunaux et les hôpitaux n’étaient pas des compétences régionales, le même principe centralisateur s’y exerce : conséquence, la déresponsabilisation des responsables locaux est lourde de conséquences. Et en matière éducative, on ne touche ni au découpage des rectorats, ni à la sacro-sainte Education nationale. Quelques amorces de services publics régionaux apparaissent cependant.
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Quant à la façon de regrouper les communes, il en va de même : « Pendant une période de deux ans, les préfets pourront d’autorité dissoudre des syndicats de communes ou des syndicats mixtes ; ils pourront revenir dur des avis des commissions CDCI. Ils pourront décider à la place des EPCI réfractaires ». Enfin l’Etat pourra décider seul des bonnes et mauvaises fusions de régions, de supprimer une catégorie de collectivité ou seulement son assemblée (départements).
La lecture de ce projet de loi laisse augurer des débats juridiques épineux : dans quelle démocratie sommes-nous ? L’Etat peut-il ainsi s’asseoir délibérément sur la Constitution.
Que les régions soient soumises au contrôle de légalité, oui ; mais les soumettre, dans tous leurs domaines de compétences, à un contrôle d’opportunité, c’est les mettre sous tutelle !
Est-ce à l’Etat de décider, sans consulter la population (sauf facultativement, sans caractère « prescriptif » pour lui), une réforme de cette importance.
C’est en fait le rôle de l’Etat qui est posé.
La phrase de Mitterrand en 1981 est-elle déjà oubliée : « La France a eu besoin d’un pouvoir fort et centralisé pour se faire. Elle a aujourd’hui besoin d’un pouvoir décentralisé pour ne pas se défaire » ?
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Ce qui devrait guider vers une vraie réforme territoriale décentralisatrice
L’acte III de la décentralisation tel que présenté par Manuel Valls nous semble d’autant plus inquiétant et insatisfaisant qu’il s’inscrit dans un contexte de métropolisation et de déséquilibre croissant entre territoires.
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Ce ne devrait pas être les économies budgétaires ou la compétitivité du pays, mais l’impératif de démocratie. Certes, les régions françaises méritent d’être redécoupées. Produit technocratique de l’État jacobin des années 1950, elles correspondent trop peu aux réalités historiques, culturelles, économiques et sociales du pays.
Mais la réduction du nombre des régions comme objectif est absurde : l’impératif est celui de la cohérence territoriale et celui des aspirations des populations. Pourquoi pas des régions redécoupées et de tailles très hétérogènes, comme chez nos voisins italiens, allemands ou espagnols ? Ainsi, on peut imaginer une région Val-de-Loire avec neuf départements, coexistant avec des régions à deux départements (Alsace, Savoie), voire, des collectivités territoriales plus petites encore (Catalogne du nord, Corse et Pays Basque français).
Aussi, l’objectif d’une dizaine de régions fixé arbitrairement par le Premier ministre n’a aucun sens et sera sans doute irréalisable. C’est nier la formidable diversité des populations françaises. L’égalitarisme des tailles est le critère le plus absurde, purement technocratique..
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Ce qui fait la force des régions en Europe, ce n’est pas leur taille géographique, ce sont les compétences qu’elles exercent et l’importance de leurs budgets.
En matière de compétences, les régions allemandes ou espagnoles bénéficient d’une véritable autonomie, y compris en matière fiscale et législative, dans leurs domaines de compétence. Il en va de même pour l’Écosse, qui peut légiférer dans un grand nombre de domaines, notamment en matière sociale, éducative ou environnementale. Et cette autonomie régionale s’accroît régulièrement comme en témoignent la réforme du fédéralisme allemand ou les processus d’indépendance en Catalogne ou au Pays de Galles.
En France, le transfert des maigres compétences départementales aux régions sera bien insuffisant. Ce sont toutes les compétences non régaliennes qui devraient être transférées.
En matière budgétaire les régions françaises sont des nains par rapport aux autres régions européennes. Le budget voté par la région Rhône-Alpes (seconde région française) pour 2014 est de l’ordre de 2,4 milliards d’euros. Le Pays de Galles ou la Galice, pour prendre des régions similaires en termes de territoire et de population, ont des budgets de l’ordre de 20-21 milliards d’euros ! Sans parler de l’Écosse, de la Catalogne du Bad-Würtemberg ou de la Bavière, qui ont des budgets de l’ordre de 35 à 50 milliards d’euros La région Rhône-Alpes se vante souvent d’être une région à taille européenne. Avec un budget de 2,4 milliards €, que pèse-t-elle par rapport aux länder de taille équivalente qui ont des budgets de 40 à 60 milliards ? Que pèse-t-elle à côté de nos « petits » voisins comme le canton suisse du Valais (350.00 habitants et 2,8 milliards de budget) ou de la région autonome du Val d’Aoste (135.000 habitants et 1,8 Milliards de budget) ? Les PIB/habitant les plus élevés d’Italie sont ceux des petites régions du nord de l’Italie ; deux petites régions sont dans le top 10 des régions européennes pour leur PIB/habitants : Groningen aux Pays bas (574.000 habitants et 2960 Km2) 6° et Bolzano (508.000 habitants et 7400 km2) 9°.
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La diversité de nos territoires ne doit pas être niée
La taille géographique n’est donc que le faux-nez d’une reprise en main des collectivités par l’Etat central ; il est plus facile de contrôler 14 régions que 27. Et ces régions n’ont aucune liberté budgétaire puisqu’elles ne disposent que des dotations de l’Etat (la part de fiscalité à leur disposition étant ridiculement faible).
Cette annonce de la création de grandes régions se fait sous la menace de baisse de la dotation pour les récalcitrantes au mépris des règles constitutionnelles d’autonomie des collectivités et du principe de subsidiarité et au mépris de la charte européenne de l’autonomie locale.
Il convient donc maintenant, de réfléchir sereinement à la situation. On sait bien que ce ne sont pas les régions les plus grandes qui ont le plus de résistance aux crises, mais ce sont par exemple toutes les petites régions autonomes de l’arc alpin qui ont le plus de souplesse et de proximité de décision qui s’en sortent le mieux (le « Small Régions Act » plutôt que la puissance illusoire de la taille qui ne conduit qu’à vouloir écraser les voisins)
LA TAILLE était un atout pour les empires, ils ont tous disparu ; c’était encore un atout au XX° siècle ; aujourd’hui, la force réside dans les réseaux, pas dans la taille.
La relance récente de l’idée de créer de « grandes régions » de taille européennes est non seulement une fausse bonne idée mais c’est aussi un magnifique exemple de manipulation de l’opinion ; c’est un leurre pour détourner les regards du vrai problème à résoudre : Ce qui serait le plus urgent, c’est de repenser le rôle de l’Etat et donner plus d’autonomie aux régions
L’avenir des régions doit se décider en région
Quelle est la bonne taille pour résister aux puissantes entreprises internationales ? Cette question n’est pas anodine au moment où se négocie un traité transatlantique
Vu de Paris, les régions, c’est la province, ce sont les résidences secondaires, les terrains de jeu de montagne, de plage ou de ski… Vu de Paris, on comprend mal cet attachement à ses racines, à un territoire et on emploie tous les mots pour le qualifier. Le nationalisme est louable quand il est français et exécrable s’il est alsacien, corse, basque ou savoyard. Mais ce sentiment de supériorité est en fait insupportable.
Mais la donne a changé ; Il est évident qu’aujourd’hui, la France a une taille insuffisante pour résister aux puissantes entreprises de notre époque. La bonne taille à cet égard est l’Europe.
Ensuite les institutions doivent simplement coller à une réalité d’ordre spirituel, qui est l’esprit unitaire des communautés qui existent. Si les régions centrales ne se sentent pas d’autre âme distincte que d’être polarisées par Paris et l’Île de France, il est logique qu’elles se constituent en région cohérente.
L’efficacité économique sur le territoire est reconnue comme étant liée à l’autonomie des institutions régionales, qui sont l’échelon correspondant aux petites et moyennes entreprises, lesquelles constituent l’essentiel de l’emploi.
Evidemment, en France, on a bâti des entreprises nationales plus ou moins privatisées qui avaient besoin d’un Etat fort, centralisé. Mais elles délocalisent et leur lien avec les territoires est de plus en plus ténu.
Le sentiment d’appartenance ne s’oppose pas à l’unité ou à l’indivisibilité de la République ;
Le repli identitaire, avancé régulièrement par les jacobins, est un épouvantail-réflexe qui s’oppose à toute idée de diversité, au nom de l’égalité. La diversité est une richesse.
Il faut une solidarité interrégionale
L’Etat était en charge de la péréquation entre les régions ; résultat : il a concentré tous les ministères et les administrations centrales en Ile de France, créant ainsi des écarts insupportables avec les autres régions. C’est l’Île de France qui devrait se montrer solidaire, et non les autres régions entre elles, et la raison en est que c’est l’Île de France qui est la plus riche. L’Etat central doit se montrer plus solidaire en déléguant davantage de pouvoir fiscal.
Admettons enfin que l’égalitarisme n’a pas conduit à l’égalité des territoires ; la différenciation entre les territoires inscrite dans la loi sur les métropoles doit s’appliquer aussi aux régions, petites ou grandes assortie d’une péréquation gérée par l’Etat. L’uniformité et le centralisme jacobin ne peut plus être la martingale du XXI° siècle. Une certaine forme de fédéralisme pourrait certainement remettre le citoyen au centre.
Il existe un second niveau de péréquation entre les régions, ce sont les fonds structurels européens qui l’assurent ; même s’il a été l’objet de quelques critiques au fil des années, il a fait preuve d’efficacité dans son rôle de redistribution entre régions riches et régions pauvres en Europe. N’est-ce pas là le bon niveau ? C’est en fait une bonne illustration concrète de ce que pourrait être une Europe des régions.
Mais en France, l’Etat jacobin a gardé pour lui seul le pouvoir de redistribution interne pendant 30 ans ; cette fonction a été très mal assurée à tel point que la France a dû rendre à Bruxelles fréquemment des sommes inutilisées. Depuis cette année, les régions gèrent ces crédits européens, mais une part seulement. L’Etat se sentirait sans doute « dévalorisé » s’il avait confié aux régions la gestion de la totalité des sommes qui leur sont destinées !
Parmi les grands mots creux que l’on entend autour de ce projet de grandes régions, il y a la sacro-sainte « égalité républicaine ». Dans le monde complexe dans lequel nous vivons, il n’y a pas de mot plus mal signifiant. L’égalité comme objectif pieu pour cacher les inégalités.
C’est le rôle de l’Etat qu’il faut redéfinir
Pour plus de cohérence et d’efficacité, il est nécessaire de redéfinir qui fait quoi en matière de service public ; le lien-reflexe entre service public et Etat est largement dépassé ; des services public régionaux ou départementaux se sont mis progressivement en place (gestion des lycées, transports scolaires, TER, service public régional de l’orientation et de la formation continue, services sociaux…) et sont le plus souvent plus performants que lorsque l’Etat les gérait. Le réflexe de gauche qui laisse à penser qu’il n’y aurait de garantie de bon service public qu’étatique a vécu.
La question pertinente aujourd’hui est la suivante : quels sont les missions que l’Etat est le seul à pouvoir assumer ? Il y a les compétences régaliennes d’une part et le principe de subsidiarité d’autre part. Par exemple, pourquoi la France reste-t-elle un des seuls pays au monde à conserver un système d’éducation nationale, ingérable et de moins en moins efficace ? Ce ne doit plus être un tabou.
Ce qui est certain c’est que la France a besoin d’une réforme profonde, mais qui nous rapproche des autres pays européen au lieu de nous en éloigner. La France pourrait être forte de ses régions, mais au lieu de cela, on renforce les pouvoirs des préfets et on recréée « les régions INSEE » : un recul de 50 ans.
L’Etat jacobin a choisi de recentraliser la décentralisation avant même d’attribuer aux régions de nouvelles compétences aux régions.
Il faut enfin une sixième république
Il faut à la France une République nouvelle pour donner au peuple les moyens d’une expression démocratique, fondée sur des valeurs sociales, humanistes et écologiques, partout où elle est limitée ou sclérosée :
– au Parlement où la proportionnelle s’impose et des formules de coalition doivent être recherchées à chaque fois que les circonstances l’exigent, comme en Allemagne ;
– dans les régions, il faut rétablir la proportionnelle et séparer exécutif et législatif ; le présidentialisme qui y règne est devenu insupportable ; Le bicaméralisme régional pourrait être garant de cette réforme démocratique.
– dans l’Etat où la technostructure pèse de tout son poids et l’étouffe, et d’où la société civile et le monde professionnel sont bannis ;
– dans la justice qui doit être organiquement indépendante des pouvoirs ;
– dans les partis politiques dont le financement public doit dépendre de critères éthiques, et dans une répartition intergénérationnelle et paritaire des mandats ;
– dans l’économie où les efforts n’ont de chance de réussir que s’ils sont partagés et où toute tentation oligarchique doit être repoussée ;
– dans la démocratie européenne où le choix politique doit prévaloir sur les technostructures bancaires ou techniques, notamment dans la zone euro où un Parlement doit être installé.
La crise est politique. Les partis doivent constater la fin d’un cycle historique marqué par la Vème république. Ils doivent, pour prouver leur vitalité, oser entreprendre un processus de recomposition dans ses fondements idéologiques comme dans ses relations à la société ;
Choisir la voie fédérale
Enfin le fédéralisme qui découlera tout naturellement du rôle nouveau qu’elles auront pris nous rapprochera des autres pays européens jusqu’à permettre, pourquoi pas, un fédéralisme européen.
Pour cesser de s’éloigner de l’Europe, pour retrouver une cohérence, la France devrait choisir la voie fédérale.
par Noël COMMUNOD ( http://noelcommunod.blog.tdg.ch/ )
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