Quelle place pour la Savoie dans les réformes territoriales à venir ?

Dans l’édition en ligne du Dauphiné Libéré (dl du 09/04/2014), on pouvait lire la réaction suivante d’Hervé Gaymard, président UMP du conseil général de Savoie, à la réforme territoriale annoncée dès janvier 2014 par le président François Hollande, puis reprise par le premier ministre Manuel Valls dans son discours de politique générale le 8 avril dernier : « Cette annonce est la négation de la mise en œuvre d’une politique de proximité menée par des élus que les citoyens connaissent, pour favoriser des régions encore plus grandes, éloignées des réalités. Cette réforme, couplée à la création des métropoles, est une menace pour l’identité savoyarde, étouffée par Genève, Lyon et Grenoble. C’est pourquoi je lance un appel solennel pour créer sans tarder un Conseil des Pays de Savoie, qui regroupe les deux départements avec des compétences renforcées. Que les Savoyards, que les élus se mobilisent sans tarder, pour défendre la Savoie dans la République ! »

L’identité savoyarde

Une prise de position intéressante, entre autres par la référence qui y est faite à l’identité savoyarde. Car en parler, c’est déjà confirmer qu’elle existe bien, et cela n’est pas anodin. Les géographes ont développé une approche précise de la notion d’identité qui n’est pas sans lien avec celle de région. Entrent ainsi comme composantes d’une identité, le temps (l’histoire), l’espace (la géographie), le politique et bien sûr une part de choix personnels (pratiques culturelles). L’histoire, les habitudes de vie d’une population s’inscrivent dans un espace défini par des lieux, qui deviennent les marqueurs de l’identité et de la mémoire (lieux de vie, de passages, quartiers, monuments historiques, etc…). Dans cet espace défini, les relations de pouvoirs s’organisent (le politique). Quand à la part de choix, libre à chacun de se positionner face à chaque élément évoqué ci-dessus, de choisir consciemment ou non ce qui va permettre de l’ identifier, de le définir.

Force est de constater que la Savoie et ses deux départements correspondent à chacun de ces éléments qui font l’existence d’une identité dans laquelle une population donnée se reconnaît : elle a une longue histoire, qu’il est inutile de rappeler ici (le nom Savoie, Sapaudia en latin, apparaît dès le Ve siècle), un espace défini à la fois par l’histoire justement et par les habitudes de vie de ses habitants (bassins de vie, d’emploi, etc…), et une organisation politique qui pour le moment s’incarne en deux conseils généraux (appelés à devenir départementaux), unis occasionnellement en une Assemblée des pays de Savoie (APS) depuis 2001. Tout cela participe donc bien d’une identité savoyarde dans laquelle nombre de Savoyards se reconnaissent.

Une Savoie coincée entre trois métropoles ?

Il est intéressant de constater qu’Hervé Gaymard dans son intervention ne définit pas l’identité savoyarde par ce qu’elle est, mais en creux, par ce qu’elle n’est pas : « l’identité savoyarde, étouffée par Genève, Lyon et Grenoble. » Les Savoyards, ce sont donc ceux qui vivent dans l’espace compris entre ces trois métropoles genevoise, lyonnaise et grenobloise. En effet, historiquement l’Etat féodal savoyard s’est trouvé limité dans son développement territorial par ses trois villes. Grenoble, c’est la capitale du Dauphiné, principauté mediévale ennemie de la Savoie puis province française dès le XIVe siècle (1349). Lyon, bien qu’ayant eu à la tête de son archevêché un prince savoyard, l’archevêque Pierre de Savoie, devient ville-frontière française au XIVe siècle (1312). Enfin Genève, dont le duc Amédée VIII et ses successeurs espéraient faire une capitale du duché de Savoie au XVe siècle, ne fut jamais suffisamment contrôlée par les Savoie et prit son indépendance en 1535 à la faveur de l’effondrement de l’Etat féodal savoyard. Cela pourrait paraître lointain, mais la relation façon « je t’aime, moi non plus » entre la Savoie et Genève se poursuit encore aujourd’hui : l’agglomération genevoise qui déborde ainsi largement les frontières du Canton de Genève pour englober le Genevois savoyard (grosso modo le nord-ouest du département de Haute-Savoie) étouffe la Savoie autant qu’elle la dynamise. La pression foncière se fait plus forte à cause d’un nombre croissant de résidents suisses et de travailleurs frontaliers représentant une manne financière pour les agences immobilières, ce qui empêche nombre de savoyards travaillant en Savoie de se loger et de devenir propriétaires. Plus positif, la proximité de la métropole européenne et internationale qu’est Genève profite à l’économie savoyarde. Un renforcement des liens entre Genève et la Savoie devenue région, ainsi qu’une une gestion commune des problèmes qui les concernent, seraient donc souhaitable.

La région, un espace vécu

En 1976, le géographe Armand Frémont définissait la région comme un espace vécu : « (…)si l’on considère la région comme un système particulier de relations unissant hommes et lieux dans un espace spécifique (…) l’homme n’est pas un objet neutre à l’intérieur de la région (…) il perçoit inégalement l’espace qui l’entoure, il porte des jugements sur les lieux, il est retenu ou attiré, consciemment ou inconsciemment (…). L’espace vécu dans tout son épaisseur et sa complexité, apparaît ainsi comme révélateur des réalités régionales ; celles-ci ont bien des composantes administratives, historiques, écologiques, économiques, certes, mais aussi plus fondamentalement, psychologiques. (…) La région, si elle existe, est un espace vécu. (…) Redécouvrir la région, c’est donc chercher à la saisir là où elle existe, vue des hommes. »

La saisir là où elle existe, c’est-à-dire chez ses habitants, dans ce qu’ils ont de commun : leur identité. Or, le projet de réforme territoriale conduit par François Hollande et le gouvernement de Manuel Valls, avec ses fusions régionales forcées et ses suppressions départementales à l’aveuglette prend le contre-pied de la démarche évoquée par A. Frémont : elle ignore les réalités territoriales et humaines au profit d’absurdes considérations de tailles, sous un prétexte de réduction des dépenses publiques et d’un amalgame entre taille et puissance. Cette dernière équation taille = puissance ne se vérifie d’ailleurs nulle part en Europe, car le concept de « taille européenne » n’a lui jamais été défini clairement.

Vers la disparition de la Savoie et de son identité ?

Avec cette réforme irréfléchie, c’est donc non seulement les départements savoyards qui risquent de disparaîtrent, sans qu’aucune nouvelle structure politique ne viennent en prendre le relais, mais aussi une identité qui ne sera plus reconnue. Hervé Gaymard a raison de dénoncer une menace pour l’identité savoyarde, car celle-ci sera ignorée, niée, réduite à un label touristique (Savoie-Mont-Blanc), quelques fromages et autant de remonte-pentes faisant de la Savoie un parc d’attraction dont les revenus iront profiter à une incertaine région Rhône-Alpes-Auvergne dans laquelle aucun de ses habitants ne se reconnaîtra, excepté les quelques technocrates qui auront accouché de ce monstre régional hybride de la même manière que leurs prédécesseurs avaient donné vie à la région Rhône-Alpes.

Et pourtant…les solutions sont entre nos mains !

Il suffirait pourtant, comme le préconisait A. Frémont en 76, de « redécouvrir la région, (…) chercher à la saisir là où elle existe, vue des hommes. » pour se rendre compte que la région Savoie existe déjà et que la seule chose dont elle a besoin c’est d’une reconnaissance institutionelle qui lui permette d’exister. Et pour cela, inutile d’attendre la volonté du prince, comme la Ve République nous y a depuis trop longtemps habitués, prenons Hervé Gaymard au mot : « Que les Savoyards, que les élus se mobilisent sans tarder, pour défendre la Savoie dans la République ! »

 

Rodolphe GUILHOT

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