Littératures régionales et concours nationaux

Une réflexion de fond sur l’éducation des langues et littératures régionales à l’école,
par Rémi Mogenet, Professeur de Français, membre du Mouvement Région Savoie.

Thumbnail imageLe Gouvernement et les Parlementaires se posent des questions sur la place des langues régionales à l’école de la République. N’est-il pas nécessaire de les évoquer au moins lorsqu’on aborde l’histoire de la langue française ? Pour comprendre la tradition des troubadours, au programme d’Education Musicale, peut-on, d’ailleurs, en faire l’économie ? Même la littérature médiévale française ne s’articule qu’en dialectes : lorsqu’on prépare le concours de recrutement des enseignants de Lettres, on étudie des textes en champenois, en normand, en picard, ou en francien (le dialecte spécifique à l’Île de France) : la langue d’oïl apparaît alors comme diverse.

Mais le problème n’est-il justement pas là ? On est interrogé, certes, tant au plan linguistique que littéraire, sur les dialectes de l’ancienne France, mais pas sur l’occitan, qui pourtant était une langue et avait une littérature riches. On ne peut dire que l’étudier soit interdit : à l’université de Montpellier, je l’ai fait. Mais ce n’est pas au programme des concours. Or, le nerf de la vie culturelle, en France, est justement ceux-ci, en particulier l’Agrégation ; car c’est par elle que la vie culturelle s’insère dans la vie économique – permet de gagner de l’argent : c’est elle qui offre de confortables traitements, une belle situation, un titre prestigieux, lorsqu’on étudie la langue et la littérature.

On pourrait demander un concours spécifique de Langues et Littératures Régionales qui s’ajouterait à ceux déjà existants. Mais, d’une part, ce serait une révolution ; d’autre part, l’argument financier est tout prêt pour le refuser. Et puis il y aurait l’éternel argument moral : la République étant unitaire, peut-on créer une catégorie spéciale ? Où rangerait-on les écrits régionalistes tourangeaux de Balzac ? Les romans normands de Barbey d’Aurevilly ? Les évocations du folklore d’Île de France de Gérard de Nerval ?

La conséquence qu’on doit en tirer est l’insertion, dès le concours de l’Agrégation, de la langue occitane : il n’est pas réellement équitable que les grands noms de la tradition des troubadours ne soient jamais au programme sous prétexte qu’on s’appuie sur les textes pour l’étude de l’ancien français. De fait, pour parvenir à une synthèse, il faudrait que les étudiants connaissent également l’occitan médiéval !

Si on trouve une telle solution trop compliquée, il faut admettre que le concours gagnerait à être régionalisé. Cela permettrait le développement de l’étude non seulement de toutes les langues régionales ayant donné lieu à une littérature, mais des littératures francophones de régions excentrées ou tardivement rattachées à la France – elles aussi exclues, en général, des programmes du concours.

La Savoie à cet égard est un exemple intéressant : au XIIIe siècle, ses princes invitaient à leur cour des troubadours, et composaient eux-mêmes en occitan leurs poèmes ; le peuple, à partir de la Renaissance, a rédigé des textes en francoprovençal ; mais le Duché a officiellement entretenu une littérature en langue française, possédant désormais un statut indéterminé : avant 1860, elle était comme celle des Suisses ou des Belges ; or, de par la politique appliquée spécifiquement au concours de l’Agrégation, elle n’est présente presque nulle part dans les universités.

On peut très bien comprendre, certes, que des Français du nord n’aient pas envie de trouver importante la vie culturelle du duché de Savoie ; mais pour les habitants du territoire concerné, cela est-il cohérent, juste ? Et si le lien entre la littérature et le territoire n’existe pas (comme on l’entend dire parfois), pourquoi, alors, trouve-t-on dans les programmes des auteurs qui ont écrit dans la langue issue de la France du nord, mais pas ceux qui ont écrit dans les langues issues des autres parties du territoire ?

Pourquoi ne voit-on jamais Frédéric Mistral au programme de l’Agrégation – par exemple ?

Une nouvelle organisation est selon moi à trouver. Mon choix est dans la décentralisation des programmes et la régionalisation des concours. Mais peut-être que des solutions plus unitaires existent qui tiennent compte de la diversité réelle du territoire : je ne sais pas.

RM

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