Pour que notre territoire savoyard devienne acteur de la gestion de son eau
Le moment est venu de renouveler la concession hydro-électrique du Beaufortain, et d’autres sont à venir en Savoie. Les enjeux sont multiples. Ils sont trop importants pour que le choix du concessionnaire se fasse de manière opaque, selon un schéma centraliste, comme on partagerait un gâteau dans un repas d’oligarques.
Au Mouvement Région Savoie (MRS) nous pensons que le renouvellement de cette ressource d’intérêt public doit se faire avec les élus territoriaux, les parties intéressées et avec un droit de regard des habitants de notre territoire.
Nous faisons sept constats :
1. Sureté des barrages
La question de la sûreté et de l’entretien des barrages n’a rien de triviale. Elle est à prendre au sérieux. Il en va de la confiance des populations qui habitent à l’aval des grands barrages. Il est indispensable qu’un opérateur possédant une forte maitrise technique dans le domaine hydraulique et ayant la culture de l’aléa climatique (crue, étiage) soit retenu.
L’exigence de sûreté et d’information en direction de la population doit être pleinement prise en compte lors de l‘attribution de la concession, aussi bien que durant toute la durée de l’exploitation.
2. Usages de l’eau
La Savoie dispose d’une importante ressource en eau grâce aux barrages et à des capacités importantes de stockage qui permettent de différer des usages aux moments les plus utiles. Mais quel usage doit-on privilégier : le prix élevé de l’électricité en hiver pour remplir « le portefeuille » ? L’irrigation à l’étiage pour nos élevages, nos cultures ? La neige de culture pour nos stations ? L’eau potable pour nos villes ? Ou bien satisfaire les besoins des populations de l’aval lors des sécheresses ? Ou encore, assurer les échanges d’électricité vers l’Italie ? La réponse à ces questions concerne les habitants de la Savoie et leurs élus.
3. Bouleversement climatique
La loi de transition énergétique de 2015, qui entre autres choses cadre le renouvellement des concessions, ne prend pas en compte les effets du bouleversement climatique. Elle n’accorde que trop peu de place à l’implication du territoire dans les choix actuels et futurs du multi-usage de la ressource en eau. Cette ressource est appelée à se raréfier par l’effet du changement climatique On n’oublie pas le bas niveau du lac d’Annecy en 2018 qui est un avertissement « très doux », le plus dur est à venir. La sécurité de l’alimentation en eau potable va devenir une question cruciale. Les besoins en eau pour les cultures et l’agropastoralisme en Savoie vont croitre. Idem pour la neige de culture. Et n’oublions pas que l’énergie décarbonée et non-nucléaire produite par la Savoie sera de plus en plus précieuse. Elle est actuellement sous-valorisée (faire payer l’empreinte carbone, vaste sujet !). Le cahier des charges des concessions ne prend pas en compte cette montée en pression des usages multiples qui seront concurrents notamment pour satisfaire les besoins croissant de l’irrigation.
4. Compétences et expériences de concessionnaires
L’eau de la Savoie est jusqu’à présent exploitée par deux concessionnaires importants et compétents : Electricité de France (EDF) d’une part, société structurellement jacobine ; et la Compagnie Nationale du Rhône (CNR), de culture plus « girondine ». Celle-ci concilie quatre usages de l’eau : navigation, irrigation et loisirs, financés par le fruit de la vente de l’électricité. Observons aussi que le renouvellement des concessions des barrages de nos amis et voisins de la vallée d’Aoste dans les années 2000 s’est concrétisé par la création d’un service public régional : la compagnie Valdotaine des Eaux (CVA Spa) détenue à 100% par le conseil de Région autonome de la Vallée d’Aoste, dont le siège social est à Chatillon. La société produit annuellement 2700GWh (chiffres 2017).
Le renouvellement des concessions attire des convoitises. Il ne suffit pas d’être pointu en sécurité comme le sont les pétroliers, où bien d’avoir des compétences dans des concessions d’autoroutes ou dans la construction d’ouvrages. En plus des savoir-faire techniques de maintenance et d’exploitation, le candidat concessionnaire doit faire la démonstration de sa maîtrise en matière de gestion de l’aléa climatique des cours d’eau, de la prise en compte de son activité sur la biodiversité, de gestion adaptative à la météo de ses ventes sur le marché de gros de l’électricité, de sa capacité à travailler en intelligence avec les collectivités locales notamment si elles souhaitent entrer au capital de la concession.
5. Retombées économiques et sociales
Il est légitime que la gestion des barrages de Savoie apporte des retombées économiques directes à la population savoyarde (à travers le bénéfice net) et indirectes (en rendant accessibles les emplois de la production électrique aux populations locales). Les Savoyards ont donné des alpages, renoncé à des villages. Ils supportent les risques de l’hydroélectricité et ses impacts sur l’environnement, sur l’urbanisme et le foncier. Ils doivent bénéficier collectivement de cette ressource
Le centralisme jacobin a instauré depuis des décennies une culture de l’acceptance. Il écarte le droit de regard des habitants de la Savoie. Cette privation ne doit pas être une fatalité !
6. Coopération amont-aval
Bien avant 2050, les populations du Rhône -où convergent nos rivières- connaitront des étiages annuels très sévères. La conception de l’intérêt général est-elle juste, lorsqu’elle oublie de récompenser les territoires de l’amont pour leur solidarité ? Nous pensons que le droit français, qui vise « l’intérêt général » selon une perception très centraliste, ne prend pas en compte le principe d’une juste compensation de la solidarité amont-aval et ne favorise pas la coopération interrégionale. Ce faisant, il crée une distorsion dans la prise en compte des intérêts puisque certains pèsent plus que d’autres.
7. Dogme ultra-libéral
Dans le cadre de sa politique pour promouvoir la concurrence, l’Union Européenne promeut l’ouverture réelle du marché français de l’électricité face à EDF qui ne manque pas de son coté d’investir au Royaume Uni, en Belgique et en Allemagne depuis une vingtaine d’années. Cette ouverture à la concurrence ne doit pas permettre l’installation de repreneurs de « tout poil » non qualifiés qui ne rechercheraient que la performance financière pour leurs seuls actionnaires.
Le MRS, souhaite que le renouvellement des concessions hydro-electriques de Savoie prenne en compte et implique fortement les populations montagnardes, selon une gouvernance garante d’une gestion équilibrée et solidaire des ressources, des besoins et des enjeux à venir. Il se propose de contribuer au débat public, et ouvre les cinq questions suivantes :
– Quel cahier des charges pour la concession future des chutes hydro-électriques ? Quelle prise en compte de la sureté ? Des usages multiples ? Des évolutions climatiques ? Comment pérenniser les compétences des concessionnaires actuels en Savoie : EDF et CNR ?
– Quelle est la place laissée aux collectivités territoriales et aux populations de Savoie dans le processus de décisions ? Quelle transparence ?
– Quelles seront les retombées économiques directes et indirectes pour la Savoie et ses habitants ?
– Comment gérer la ressource en eau à travers des coopérations inter-régionales ? Le droit français et européen doit-il évoluer en ce sens ?
– Quels élus, quelles parties intéressées, en Savoie, souhaiteraient s’impliquer dans ce débat public ? Peut-on faire émerger une entreprise régionale publique de l’Eau en Savoie, plutôt que de laisser partir des concessions à des opérateurs privés ?
Le 21 juin 2017, le Mouvement Région Savoie