Le faux-nez des grandes régions cache une recentralisation importante

Par Noël Communod

  1. MAIS POURQUOI L’ETAT VEUT-IL ABSOLUMENT DES GRANDES REGIONS ?

Le premier Ministre a lancé un ultimatum aux régions le 8 mars dernier: «Fusionnez avant fin 2016, sinon j’établirai une nouvelle carte des régions au 1° janvier 2017 ;

Depuis 15 ans, ce sujet revient régulièrement sur la table.  L’argument avancé par le Comité Balladur en 2002 était simple : les régions françaises étaient trop petites et trop peu peuplées et qu’il fallait donc des régions à « taille européenne » pour qu’elles soient plus fortes.

Manuel Valls ne donne pas de raison explicite, mais estime que les collectivités dépensent trop et il veut tout simplement les mettre sous contrôle étroit pour réaliser des économies.

C’est une triple tromperie :



  1. Première tromperie : Le concept de « taille européenne » n’a jamais été défini, et pour cause. La taille moyenne des régions en France métropolitaine est de 24 726 km² et de 2 839 000 habitants. Si nos régions sont moins peuplées que les régions allemandes à cause d’une densité inférieure, elles sont par contre tout à fait comparables aux régions espagnoles ou italiennes. On constate aussi 4 États européens ayant une superficie inférieure à la moyenne des régions françaises, et 6 États ayant une population inférieure à cette moyenne ! Le PIB par habitant est le plus élevé dans les petites régions.
    La taille européenne des régions n’existe pas. C’est un mythe bien français. C’est un slogan jacobin.

Ce qui prévaut au contraire c’est l’extrême diversité de la taille des régions, y compris au sein d’un même État.

  1. Seconde tromperie : L’argument démocratique : Annoncer qu’on a entendu l’appel des français à plus de démocratie et de proximité d’une part  et annoncer dans le même discours la suppression de l’échelon de proximité qu’est le département et l’effacement de la commune. Imposer sans concertation de créer des régions plus grandes donc plus éloignées encore du citoyen relève de la provocation ou de l’autisme. Le message des citoyens grenoblois lors des dernières municipales qui ont balayé PS, UMP et FN pour élire Eric Piolle comme maire citoyen n’est-il pas un signe à méditer ?

Les super-régions, complètement contrôlées par l’Etat, deviendront des technostructures qui n’auront plus rien à voir avec la notion de collectivité d’habitants d’un territoire.

On veut donner aux régions de nouvelles compétences, mais dans le même temps, les schémas directeurs seront dictés par Bruxelles (fonds structurels obligent !) et Paris et soumis au verdict du préfet et de l’Etat : on revient 50 ans en arrière sur l’autonomie régionale.

  1. Troisième tromperie : L’idée selon laquelle plus on mutualise, plus on économise est fausse. En fait, les coûts de fonctionnement par habitant sont d’autant plus élevés que la structure est grosse ; La Cour des comptes le dit et  l’ETAT en est  évidemment l’exemple le plus voyant.

La peur que l’Etat aurait de perdre sa main-mise sur les collectivités semble le fondement essentiel de ce projet de réforme.

 

  1. AVEC CE PROJET DE LOI LA FRANCE S’ELOIGNE ENCORE DES PRATIQUES EUROPEENNES

Si l’objectif était vraiment d’aller vers la reconnaissance du rôle des régions comme principale collectivité territoriale, il aurait fallu proposer un véritable pouvoir normatif sur leur territoire et une fiscalité propre : en lisant bien le projet de loi c’est l’inverse qui a été choisi.

Démontons-le point par point.

  • L’article 1 commence tout bonnement par limiter la compétence des régions aux compétences prévues par la loi. Cette précision ajoutée à la suppression de la clause de compétence générale fixe nettement le cadre limité du projet.

Dans l’exposé des motifs, il est précisé le rôle de l’Etat (au sens large) et que «  les collectivités sont les mieux désignées, dans le cadre de leurs compétences et en lien avec l’administration territoriale de l’Etat, pour assurer la déclinaison et la mise en œuvre des stratégies nationales ».

On ne peut être plus clair : les collectivités sont au service de l’Etat, pas au service de leurs habitants. Cette affirmation se fait au mépris de deux principes de notre constitution : l’autonomie financière des collectivités et le principe de subsidiarité ; c’est aussi en contradiction avec la charte européenne de l’autonomie locale que la France a ratifiée.

  • La suppression de la clause de compétence générale  va radicalement à l’encontre du principe de subsidiarité.

  • Le projet de loi émet ensuite le principe pour les régions  d’un pouvoir règlementaire, voire même d’adaptation des lois, une demande ancienne des régionalistes ; mais las, ces propositions doivent être transmises au Préfet et au premier Ministre. Aucune confiance n’est faite aux régions.

  • Le « schéma prescriptif » est le plus beau morceau du faux-nez de la reprise en mains. Sous couvert de larges compétences données aux régions en économie et aménagement du territoire notamment. Les maxi-schémas stratégiques régionaux regroupant un grand nombre de sujets sont surtout l’occasion pour l’Etat de reprendre en mains tous ces « petits » schémas directeurs que des VP écologistes régionaux avaient pris en main et  dont le contenu commençait à échapper à l’Etat : air, eau, intermodalité, climat, énergie… Ils sont supprimés et regroupés dans un grand schéma (plus c’est gros, plus c’est contrôlable). En effet, il est dit que ces grands schémas doivent faire l’objet d’une « concertation étroite » entre l’Etat et la région ; ensuite « le document adopté par le conseil régional à l’issue de cette concertation et des procédures d’évaluation et d’enquête publique, est approuvé par arrêté du préfet de région ; c’est cet arrêté qui confère au schéma son caractère « prescriptif ». Mascarade de démocratie : on fait fi des élus.

  • Mais que veut donc dire « prescriptif » ? Tout simplement que l’Etat va utiliser les régions comme son bras armé en leur demandant d’imposer des règles aux collectivités infra et de les contrôler ; bref, on est revenu aux régions administratives de 1972 et les régions ressembleront davantage à des administrations déconcentrées qu’à des régions adultes et autonomes. Tout cela est parfaitement contraire à notre Constitution.

  • Mais en plus, aucune fiscalité, aucun moyen propre n’est donné aux régions pour exercer en autonomie ces compétences. Bien plus, l’Etat continuera nécessairement à conserver ses effectifs pour « élaborer en commun, évaluer, financer la mise en œuvre, contrôler…. ». Sans moyens financiers propres, cette réforme n’a aucun sens. Les régions en sont réduites à quémander une « dotation » et celle-ci peut même devenir un outil de chantage (si vous ne fusionnez pas, vous aurez un malus, si vous êtes un bon  élève, vous aurez un bonus !)

  • Le pouvoir pourra même, après le vote de cette loi, intervenir par ordonnance pour étendre les domaines de « compétences » (entendons les tâches administratives que l’Etat délèguera aux  régions : l’Etat stratège et les régions exécutantes !

  • Dans le domaine économique, les régions ont dû élaborer en 2010 le SRDEI (schéma régional de l’économie et de l’innovation), avant même qu’il soit appliqué totalement, nous devons mettre en œuvre en 2014 la SRI-SI pour répondre aux directives européennes de gestion des fonds structurels ; les fonds européens devant être abondés pour être accordés, les élus régionaux n’ont plus leur mot à dire. Maintenant, pour 2015, il faudra recommencer et faire un schéma dicté pour partie par l’Europe et pour le reste par l’Etat (pôles de compétitivité…) : le SRDEII : schéma régional de développement économique d’innovation et d’internationalisation. Les régions n’ayant plus de marges de manœuvres deviendront des exécutantes des politiques décidées à Bruxelles et à Paris.

  • Mais ce n’est pas fini : la loi supprime l’essentiel des compétences économiques des départements (agences économiques) qui avaient une certaine latitude d’action. Le caractère prescriptif, là encore, consistera pour les régions à décliner le SRDEII dans les départements.

  • Et enfin, cerise sur le gâteau, la compétence ESR (enseignement supérieur-recherche) n’est même pas citée. Il est vrai que les CPER fléchaient déjà beaucoup les aides de l’Etat qui ne faisaient que transiter par les régions ; mais la loi Fioraso de 2014 a repris l’essentiel de la maigre autonomie universitaire, a entrepris de centraliser en regroupant : toujours plus gros pour mieux contrôler. Cette compétence serait donc retirée aux régions.

  • Même si les tribunaux et les hôpitaux n’étaient pas des compétences régionales, le même principe centralisateur s’y exerce : conséquence, la déresponsabilisation des responsables locaux est lourde de conséquences.

  • Quant à la façon de regrouper les communes, il en va de même : « Pendant une période de deux ans, les préfets pourront d’autorité dissoudre des syndicats de communes ou des syndicats mixtes ; ils pourront revenir dur des avis des commissions CDCI. Ils pourront décider à la place des EPCI réfractaires ». Enfin l’Etat pourra décider seul des bonnes et mauvaises fusions de régions, de supprimer une catégorie de collectivité ou seulement son assemblée (départements).

La lecture de ce projet de loi laisse augurer des débats juridiques épineux : dans quelle démocratie sommes-nous ? L’Etat peut-il ainsi s’asseoir délibérément sur la Constitution.

Est-ce à lui de décider, sans consulter la population (sauf facultativement, sans caractère « prescriptif » pour lui), une réforme de cette importance.

C’est en fait le rôle de l’Etat qui est posé.

 

  1. CE QUI DEVRAIT GUIDER VERS UNE VRAIE REFORME TERRITORIALE DECENTRALISATRICE

L’acte III de la décentralisation tel que présenté par Manuel Valls nous semble d’autant plus inquiétant et insatisfaisant qu’il s’inscrit dans un contexte de métropolisation et de déséquilibre croissant entre territoires.

  • Ce ne devrait pas être les économies budgétaires ou la compétitivité du pays, mais l’impératif de démocratie. Certes, les régions françaises méritent d’être redécoupées. Produit technocratique de l’État jacobin des années 1950, elles correspondent trop peu aux réalités historiques, culturelles, économiques et sociales du pays.

Mais la réduction du nombre des régions comme objectif est absurde : l’impératif est celui de la   cohérence territoriale et celui des aspirations des populations. Le résultat pourra être des régions redécoupées et de tailles très hétérogènes, comme chez nos voisins italiens, allemands ou espagnols. Ainsi, on peut imaginer une région Val-de-Loire avec neuf départements, coexistant avec des régions à deux départements (Alsace, Savoie), voire, des collectivités territoriales plus petites encore (Catalogne et Pays Basque français).

Aussi, l’objectif d’une dizaine de régions fixé arbitrairement par le Premier ministre n’a aucun sens et sera sans doute irréalisable. C’est nier la formidable diversité des populations françaises.

  • Ce qui fait la force des régions en Europe, ce n’est pas leur taille géographique, ce sont les compétences qu’elles exercent et l’importance de  leurs budgets.

En matière de compétences, les régions allemandes ou espagnoles bénéficient d’une véritable autonomie, y compris en matière fiscale et législative, dans leurs domaines de compétence. Il en va de même pour l’Écosse, qui peut légiférer dans un grand nombre de domaines, notamment en matière sociale, éducative ou environnementale. Et cette autonomie régionale s’accroît régulièrement comme en témoignent la réforme du fédéralisme allemand ou les processus d’indépendance en Catalogne ou au Pays de Galles.

En France, le transfert des maigres compétences départementales aux régions sera bien insuffisant. Ce sont toutes les compétences non régaliennes qui devraient être transférées.

  • Ce qui fait la force des régions en Europe, ce n’est pas leur taille géographique, ce sont les recettes fiscales et les budgets dont elles disposent

En  matière budgétaire les régions françaises sont des nains par rapport aux autres régions européennes. Le budget voté par la région Rhône-Alpes (seconde région française) pour 2014 est de l’ordre de 2,4 milliards d’euros. Le Pays de Galles ou la Galice, pour prendre des régions similaires en termes de territoire et de population, ont des budgets de l’ordre de 20-21 milliards d’euros ! Sans parler de l’Écosse, de la Catalogne du Bad-Würtemberg ou de la Bavière, qui ont des budgets de l’ordre de 35 à 50 milliards d’euros La région Rhône-Alpes se vante souvent d’être une région à taille européenne. Avec un budget de 2,4 milliards €, que pèse-t-elle par rapport aux länder de taille équivalente qui ont des budgets de 40 à 60 milliards ? Que pèse-t-elle à côté de nos « petits » voisins comme le canton suisse du Valais (350.00 habitants et 2,8 milliards de budget) ou de la région autonome du Val d’Aoste (135.000 habitants et 1,8 Milliards de budget) ? Les PIB/habitant les plus élevés d’Italie sont ceux des petites régions du nord de l’Italie ; deux petites régions sont dans le top 10 des régions européennes pour leur PIB/habitants : Groningen aux Pays bas (574.000 habitants et 2960 Km2) 6° et Bolzano (508.000 habitants et 7400 km2) 9°.

  • La diversité de nos territoires ne doit pas être niée

La taille géographique n’est donc que le faux-nez d’une reprise en main des collectivités par l’Etat central ; il est plus facile de contrôler 10 régions que 27. Et comme ces régions n’ont aucune liberté budgétaire puisqu’elles ne disposent que des dotations de l’Etat (la part de fiscalité à leur disposition étant ridiculement faible).

Cette annonce de la création de grandes régions se fait sous la menace de baisse de la dotation pour les récalcitrantes au mépris des règles constitutionnelles d’autonomie des collectivités et du principe de subsidiarité et au mépris de la charte européenne de l’autonomie locale.

Il convient donc maintenant, de réfléchir sereinement à la situation. On sait bien que ce ne sont pas les régions les plus grandes qui ont le plus de résistance aux crises, mais ce sont par exemple toutes les petites régions autonomes de l’arc alpin qui ont le plus de souplesse et de proximité de décision qui s’en sortent le mieux (le « Small Régions Act » plutôt que la puissance illusoire de la taille qui ne conduit qu’à vouloir écraser les voisins)

LA TAILLE était un atout pour les empires, ils ont tous disparu ; c’était encore un atout au  XX° siècle ;

La relance récente de l’idée de créer de « grandes régions » de taille européennes est non seulement une fausse bonne idée mais c’est aussi un magnifique exemple de manipulation de l’opinion ; c’est un leurre pour détourner les regards du vrai problème à résoudre : Ce qui serait le plus urgent, c’est de repenser le rôle de l’Etat et donner plus d’autonomie aux régions

 

  1. C’EST LE RÖLE DE L’ETAT QU’IL FAUT REDEFINIR

Pour plus de cohérence et d’efficacité, il est nécessaire de redéfinir qui fait quoi en matière de service public ; le lien-reflexe entre service public et Etat est largement dépassé ; des services public régionaux ou départementaux se sont mis progressivement en place (gestion des lycées, transports scolaires, TER, service public régional de l’orientation et de la formation continue, services sociaux…) et sont le plus souvent plus performants que lorsque l’Etat les gérait. Le réflexe de gauche qui laisse à penser qu’il n’y aurait de garantie de bon service public qu’étatique a vécu.

La question pertinente aujourd’hui est la suivante : quels sont les missions que l’Etat est le seul à pouvoir assumer ? Il y a les compétences régaliennes d’une part et le principe de subsidiarité d’autre part. Par exemple, pourquoi la France reste-t-elle un des seuls pays au monde à conserver un système d’éducation nationale, ingérable et de moins en moins efficace ? Ce ne doit plus être un tabou.

Admettons enfin que l’égalitarisme n’a pas conduit à l’égalité des territoires ; la différenciation entre les territoires inscrite dans la loi sur les métropoles doit s’appliquer aussi aux régions, petites ou grandes assortie d’une péréquation gérée par l’Etat. L’uniformité et le centralisme jacobin ne peut plus être la martingale du XXI° siècle.  Une certaine forme de fédéralisme pourrait certainement  remettre le citoyen au centre.

Ce qui est certain c’est que la France a besoin d’une réforme profonde, mais qui nous rapproche des autres pays européen au lieu de nous en éloigner. La France pourrait être forte de ses régions, mais au lieu de cela, on renforce les pouvoirs des préfets et on recréée « les régions INSEE » : un recul de 50 ans.

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