Qu’attend-t-on pour supprimer les départements ?

Qu’attend-t-on pour supprimer les départements ?  (agora vox)


La commission pour la libération de la croissance, dite « commission Attali », a fait 316 propositions, en début d’année 2008, concernant les relations sociales, l’emploi, la fiscalité ou la protection sociale.

Les propositions de ses membres (43 personnalités dont 17 PDG ou anciens PDG…) reprennent largement tous les poncifs du libéralisme économique et aucune d’entre elles ne concerne véritablement la lutte contre la précarité du travail ou l’amélioration du pouvoir d’achat des salariés. Ce qui a fait dire à Jean-Luc Mélenchon qu’il ne faut garder de ce catalogue que « le papier pour le recycler »…

Mais quelques rares mesures sont cependant tout à fait justifiées comme celle qui consiste à faire disparaître progressivement l’échelon départemental pour éviter des gaspillages financiers énormes et améliorer l’efficacité de la gestion publique.

Le département est devenu en effet aujourd’hui complètement inutile car pris en étau entre le développement des structures intercommunales et la région. Et cette dernière devrait, depuis longtemps, se voir dévolue toutes les compétences exercées par le conseil général…

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Le département est une division administrative, mise en place sous la Révolution française et qui date du 15 janvier 1790. L’objectif était à l’époque de remplacer les provinces liées à l’Ancien régime et de casser tout provincialisme. Afin que l’autorité administrative soit rapidement informée de ce qui se passait à l’autre bout du département, un émissaire à cheval devait pouvoir atteindre n’importe quelle zone du territoire en une seule « journée de voyage ». C’est ainsi qu’aujourd’hui, les superficies de chaque département sont très proches.

Depuis 1985 et la loi de décentralisation, le département est également une collectivité locale dirigée par un conseil général renouvelé par moitié tous les trois ans.. Les transferts de compétences de l’Etat aux départements se sont multipliés au fil des ans avec notamment le 1er décembre 1988 la prise en charge d’une partie de la politique du RMI puis de nouveaux transferts organisés par la loi d’août 2004. Ses compétences s’exercent aujourd’hui sur les collèges, les routes et sur de nombreuses aides sociales comme l’APA.

On compte 96 départements en métropole et 4 à l’outre-mer (DOM) et il existe par ailleurs 26 régions, 36.000 communes et 18.000 groupements intercommunaux (communautés de communes ou d’agglomérations) et de près de 2 500 établissements publics de coopération intercommunale (EPCI).

La question de la suppression des départements souvent abordée mais jamais traitée…

Cette question « trotte » dans les esprits depuis longtemps mais aucune majorité politique n’a jamais vraiment tenté de supprimer cet échelon administratif.

En 1906, Clemenceau prononça un discours à Draguignan, dans le département du Var, où il préconisait d’adapter la carte des collectivités locales en tenant compte de l’évolution des réalités économiques et sociales.

En 1947, Michel Debré proposa de créer 47 grands départements.

Valéry Giscard d’Estaing porta un bon diagnostic en indiquant qu’« un jour il faudrait choisir entre la région et le département car il ne saurait y avoir entre l’Etat et la commune deux collectivités intermédiaires ».

En 1982, lors du lancement de la décentralisation, Pierre Mauroy et Gaston Defferre auraient volontiers envisagé la suppression des départements mais François Mitterrand s’y est fermement opposé.

En 1995, la loi Pasqua a introduit la notion de « pays », bassin de vie et d’activité plus réaliste que le département technocratique mais le pays n’a gagné aucune compétence juridique et les départements ont été conservés.

En 2002, Jean-Pierre Raffarin initia « l’acte II de la décentralisation » et commença par esquisser l’idée que l’armature territoriale française devait reposer sur le couple Etat-Région, développant ainsi les propos tenus par Jacques Chirac dans un discours prononcé à Rennes, discours d’où il ressortait qu’il y avait trop de niveau de collectivités locales en France.

Plus récemment, l’ancien Premier ministre Edouard Balladur et l’actuel chef de gouvernement François Fillon se sont aussi prononcés pour la suppression du département mais n’ont pris aucune initiative politique fixant notamment un calendrier et des modalités concrètes.

S’il n’est pas étonnant que la droite fasse preuve de conservatisme, il est plus surprenant que la gauche soit autant timide dans ce domaine. Ainsi, Claudy Lebreton, président de l’assemblée des départements de France et président (PS) du Conseil général des Côtes d’Armor, pointe bien du doigt certaines anomalies mais sans aller jusqu’à remettre en cause cet échelon administratif. « Et si l’on supprime le département, qui va assurer ses fonctions actuelles et comment va-t-on transférer le personnel qui y travaille ? », s’interroge-t-il. Selon lui, l’urgence n’est pas de supprimer le département mais de mieux clarifier les compétences entre les collectivités locales !

Pour Jean-Pierre Chevènement, la suppression du département est une « fausse bonne idée ». Il fait valoir que dans certains autres pays européens, comme l’Allemagne ou l’Italie, il y a au moins trois niveaux de collectivités locales. L’ancien ministre de l’Intérieur loue également « la relative proximité du département, enraciné dans la tradition républicaine ». « Les besoins sociaux – RMI, personnes âgées, enfance – sont mieux traités au niveau du département qu’ils ne le seraient à celui des régions » conclut-il.

Quant à Arnaud Montebourg, jadis partisan de la fusion des départements et régions mais n’étant pas à une contradiction près (porte-parole de Ségolène Royal au cours de la dernière campagne présidentielle, il a soutenu Martine Aubry lors du dernier congrès de Reims…), il est devenu depuis peu Président du Conseil Général de Saône-et-Loire… Ah, qu’il est loin le combat pour la VI éme République et le non-cumul des mandats !

Au cours de la dernière campagne présidentielle, seul François Bayrou s’était prononcé clairement pour leur suppression, précisant en outre à juste titre que le personnel des conseils généraux devait être intégré au personnel de la région.

Six niveaux de pouvoirs publics : une véritable aberration administrative

Si chaque collectivité locale est censée avoir des domaines d’action spécifiques, de nombreux doublons existent entre collectivités locales en matière de développement économique, sport, culture, tourisme et jeunesse ainsi qu’entre départements et Etat dans les affaires culturelles ou l’action sociale et sanitaire. Et même, il arrive que chaque collectivité intervienne dans des domaines qui relèvent en principe d’autres échelons administratifs. De surcroît, il n’y a pas de hiérarchie entre ces différents échelons.

La carte territoriale française offre ainsi trop de niveaux institutionnels et, dans chacun de ces niveaux, trop de collectivités. Elle n’offre pas non plus, sur le territoire, des entités politiques et administratives suffisamment puissantes pour qu’on leur affecte de manière efficace des compétences de gestion des politiques publiques transférées vers elles en provenance de l’Etat.

Trop d’intermédiaires entre le citoyen et la puissance publique renchérissent fortement les budgets de fonctionnement mais induisent aussi une difficulté de compréhension du système par les Français.

Est-il pertinent de maintenir par exemple le département du Rhône, intégré géographiquement, dans la communauté urbaine de Lyon ?

Est-il fonctionnel de découper la gestion publique de l’île de Beauté entre deux départements, chapeautée par une région pour faire plaisir aux seuls élus locaux au détriment de l’intérêt collectif ?

Le problème de la fiscalité locale

Une telle organisation des pouvoirs publics à six niveaux suffirait à elle seule à justifier la suppression des départements mais les modalités actuelles de la fiscalité locale plaident aussi en faveur de la disparition de l’échelon départemental.

Les collectivités territoriales financent aujourd’hui 72% des investissements publics de la Nation et les départements représentent plus du tiers de cette part. Ils pèsent 56 milliards d’euros par an d’investissements et de fonctionnement dans les politiques publiques.

En principe, ils sont responsables de la construction et de l’entretien des collèges, de l’action sanitaire et sociale et de la gestion du RMI (sur les 56 milliards d’euros qu’ils ont à gérer, les départements en dépensent près de 28 milliards dans l’action sociale). De même, les conseils généraux ont en charge une grande partie des routes nationales et des personnels techniques de l’éducation nationale.

Pour financer tous ces dispositifs, on fait appel bien sûr à aux impôts locaux qui représentent une part de plus en plus importante du total des impôts payés par les Français : 12 milliards d’euros pour la taxe d’habitation (particuliers), 15 milliards d’euros pour la taxe foncière (particuliers et entreprises) et 22 milliards pour la taxe professionnelle payée par les seules entreprises. Avec la décentralisation et les transferts de compétences de l’Etat vers les collectivités locales, cette pression fiscale va crescendo.

Mais ces impôts indirects sont également très injustes car ils touchent de la même façon les personnes les plus aisées comme les plus modestes. Ils ne sont pas payés en fonction des revenus des contribuables et il n’est pas rare aujourd’hui, pour un salarié de « sortir » un mois de salaire pour payer la taxe foncière ou la taxe d’habitation dont les bases, complètement archaïques, datent respectivement de 1961 et de 1970.

C’est pourquoi, la suppression des départements serait une bonne occasion pour réformer la fiscalité locale en l’intégrant dans l’IRPP puis en reversant une quote-part à chaque collectivité locale. Car la France se distingue par une fiscalité particulièrement injuste avec 83% des recettes de l’État provenant de la fiscalité indirecte et seulement 17% provenant de l’impôt progressif sur les revenus ! Un système d’imposition, pratiquement unique parmi les pays occidentaux et qui accroît considérablement les inégalités sociales.

Mais alors que leur suppression aurait pu être faite facilement en 1982, lors du lancement de la décentralisation, la gauche ne l’a pas voulu et la France s’est retrouvée – la région étant devenue, par la loi du 2 mars 1982 une véritable collectivité locale – dotée d’une organisation des pouvoirs publics à six niveaux.

Aujourd’hui, l’identité régionale vaut bien l’identité départementale et certains élus, notamment de l’Ouest de la France, sont favorables à une réorganisation des régions. Une grande région « Massif central », une vraie région Alpes, Bretagne, Bassin Méditerranéen ou la réunification de la Basse et de la Haute Normandie (divisée à l’origine pour un vulgaire partage de gâteau électoral entre la majorité et l’opposition…) permettraient d’avoir des régions à dimension européenne et plus conformes à la situation géographique réelle.

Mais jusqu’à présent, trop nombreux sont les élus locaux, parmi les 550 000 au total, qui font de la résistance et bloquent en fait toute évolution. Le lobby des présidents et des conseillers généraux est puissant et dispose de plusieurs relais, notamment au sénat où droite et gauche se sont entendues pour que les conseillers généraux conservent le plus longtemps possible leurs prérogatives et les petits avantages qui vont avec…

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